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William Gardner SMITH


Le visage de pierre


Le visage de pierre a été écrit en 1963 et n'avait jamais été traduit en français. Le lecteur comprendra aisément pourquoi puisque le personnage principal du roman a été le témoin direct du massacre des Algériens à Paris le 17 octobre 1961 et révélait pour la première fois l'ampleur de la répression et des crimes commis par la police ce jour-là.  La parution en français ce mois d'octobre du Visage de pierre vient opportunément nous rappeler que 60 ans après, le thème du livre est toujours d'une brûlante actualité.

Simeon, le personnage principal du roman a décidé de fuir les États-Unis et arrive à Paris en 1960.  
"Âgé d'un peu moins de trente ans, c'était un Noir et il s'appelait Simeon Brown. Il avait un seul œil valide ; une pièce de tissu noir recouvrait l'orbite de l'autre".
"Quel long voyage ! pensa-t-il. L'Amérique était derrière lui, son passé aussi; il était en sécurité. La violence ne serait pas nécessaire, le meurtre non plus. Paris. La paix"

Effectivement, pour Simeon, Paris sera un havre de paix et de sécurité ; il sera même surpris que dans cette ville un Noir puisse entrer dans un café ou un restaurant sans être refoulé, qu'un Noir puisse se promener au bras d'une femme blanche sans s'attirer des regards suspicieux. À Paris, Simeon va nouer des amitiés avec des compatriotes qui ont également fui l'Amérique et qui sont devenus des habitués des mœurs parisiennes. Il va rencontrer Maria cette jeune réfugiée polonaise qui a connu les camps de concentration nazis et qui rêve de devenir comédienne... Il va rencontrer aussi quelques uns de ces hommes qu'il avait entrevus en arrivant à Paris du côté de la gare St-Lazare :
"Ces hommes aux cheveux crêpelés et à la peau pas tout à fait blanche, mais surement pas noire ? Ils avaient un regard triste, abattu, furieux, un regard que Simeon connaissait pour l'avoir vu dans les rues de Harlem."

Parmi eux, Hossein, Ahmed et bien d'autres Algériens en proie aux arrestations arbitraires, aux brutalités policières, à la haine raciale. Simeon prend alors vite conscience que la France n'est pas ce pays idyllique qu'il croyait être, le sort des Algériens en France ressemble étrangement à celui des Noirs d'Amérique : mêmes préjugés, même haine, même violence et mépris. Le point culminant de cette violence sera le 17 octobre 1961. Ce jour-là, avec ses camarades algériens, Simeon sera arrêté et tabassé. Le corps de l'un de ses amis sera retrouvé dans la Seine. Témoin de la mort de dizaines de victimes, Simeon verra sur le visage des policiers parisiens accomplissant leurs basses œuvres le même visage de pierre, que celui de ses tortionnaires en Amérique qui lui ont crevé un œil.
"Sa douleur à l'œil avait un peu diminué et, avant de sombrer dans le sommeil, il pensa : le visage du flic français, le visage de Chris, de Mike ou du marin, [ses agresseurs racistes en Amérique] le visage du nazi tortionnaire à Buchenwald et Dachau, le visage de la foule hystérique à Little Rock, [qui conspue une jeune écolière noire autorisée à fréquenter une école réservée aux Blancs] le visage du bigot afrikaner et celui du boucher portugais en Angola et, oui, les visages noirs des assassins de Lumumba – ils ne formaient qu'un seul et même visage. Où que soit le visage, il était son ennemi ; et peu importait la personne qui craignait ce visage, en souffrait ou se battait contre lui, cette personne était son frère."

D'une grande finesse et subtilité, Le visage de pierre est assurément l'un des plus grands romans jamais écrits sur le racisme et les discriminations et William Gardner Smith un écrivain dans la lignée de James Baldwin et de Richard Wright.

Yves Dutier 
(12/11/21)    



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Christian Bourgois

(Octobre 2021)
280 pages - 21 €



Traduit de l'anglais
(États-Unis)
par Brice Matthieussent









William Gardner Smith
(1927-1974)
journaliste et écrivain.



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