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Tanguy VIEL

La fille qu'on appelle



Avec La fille qu'on appelle, Tanguy Viel nous emmène dans une ville de Bretagne du bord de mer où nous allons rencontrer une célébrité locale : Max Le Corre, ancien champion de France de boxe devenu le chauffeur du maire de la ville, un certain Quentin Le Bars, notable ambitieux qui deviendra ministre, grand ami et complice de Franck Bellec, le patron du Casino. Nous allons rencontrer aussi Laura la fille du boxeur. Après avoir quitté sa ville natale à seize ans pour travailler dans "la mode", la voilà de retour à vingt ans, seule, démunie. Son père lui propose alors de rencontrer le maire qui pourra peut-être l'aider à trouver un logement et du travail. Bien sûr, le maire de la ville l'aidera en la dirigeant vers le patron du Casino mais cette "aide" ne sera pas sans contrepartie... Laura, nous la retrouvons aussi par intermittence au fil du roman dans un commissariat en train de déposer plainte...

Cette fiction n'est pas sans rappeler des faits divers récents où sont compromis ministres et notables mais le véritable talent de Tanguy Viel est de montrer avec beaucoup de subtilité et de finesse les dispositifs de domination et d'emprise du pouvoir des puissants sur les plus faibles. Les rapports de force entre les personnages s'expriment le plus souvent par le corps dont les protagonistes n'ont pas l'entière maîtrise et c'est avec brio que l'auteur décrit la silhouette des personnages, par exemple celle du maire : « l'air propret et sérieux dans ses costumes cintrés sur l'embonpoint qui gagnait ». Le personnage de Laura est particulièrement captivant – à la fois déterminé, ambigu et complexe – le lecteur ne peut pas évacuer une réflexion sur le consentement : « Elle n'avait parlé ni de viol ni de proxénétisme, encore moins de trafic d'influence ou d'abus de faiblesse, mais seulement décrit dans l'ordre la sinueuse et progressive emprise qu'il avait eue sur elle. »

Par ailleurs, l'auteur restitue avec humour le langage du pouvoir et c'est jubilatoire pour le lecteur de retrouver dans les discours de Le Bars les 'éléments de langage' dont l'emphase et la vacuité nous sont devenus si courants :
« Et d'avoir été réélu quelques mois plus tôt, d'avoir pour ainsi dire écrasé ses adversaires à l'entame de son second mandat, sûrement ça n'avait pas contribué au développement d'une humilité qu'il n'avait jamais eue à l'excès - à tout le moins n'en avait jamais fait une valeur cardinale, plus propre à voir dans sa réussite l'incarnation même de sa ténacité, celle-là sous laquelle sourdaient des mots comme "courage" ou "mérite" ou "travail" qu'il introduisait à l'envi dans mille discours prononcés partout ces six dernières années, sur les chantiers inaugurés ou les plateaux de télévision, sans qu'on puisse mesurer ce qui relevait de la foi militante ou bien de l'autoportrait […]»

Les médias et les "suiveurs" de personnalités ne sont pas non plus épargnés :
« Puis donc il a mis fin aux questions et quitté la petite scène qu'on lui avait improvisée, derrière lui la cohorte des journalistes lui emboîtant le pas, comme le cortège d'un mariage au sortir de la messe, et presque on aurait cru que l'un ou l'autre allait lui lancer du riz au visage. »

La Fille qu'on appelle, une fiction qui rencontre le réel, un regard acéré sur notre société, le regard d'un grand écrivain.

Yves Dutier 
(05/10/21)    



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Tanguy VIEL, La fille qu'on appelle
Minuit

(Septembre 2021)
176 pages – 16 €

Version numérique
11,99 €









Tanguy Viel

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