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Doan BUI


La Tour


« AVERTISSEMENT
Si la dalle des Olympiades est un lieu bien réel, dans le 13° arrondissement de Paris, la tour Melbourne n’existe que dans mon imagination. Ainsi que tous les personnages qui y habitent (sauf les fantômes, bien sûr, qui eux existent vraiment). »

            Derrière l’humour, la fiction, on sent bien des fragments de réel qui façonnent les fantômes. Dans ce roman nous suivons principalement une famille vietnamienne, les Truong. Il y a Victor, comme Hugo dont il est un fervent admirateur mais que l’on ne comprend pas quand il le récite à cause de son accent, Alice sa femme qui voit des fantômes dans la télévision et leur fille, Anne-Mai, coincée entre la tradition du pays quitté, de Chinatown (on apprend, au passage, que le « je » n’existe pas en vietnamien) et la vie française moderne.

            « Anne-Mai était née à Paris, mais longtemps, elle crut que la capitale était cantonnée à ce petit îlot délimité par les avenues d’Ivry et de Choisy, dont le cœur palpitant battait aux Olympiades. Paris se continuait dans la banlieue sud, Villejuif, Ivry, ou vers Lognes, où résidaient d’autres Vietnamiens de la diaspora. Ce n’est qu’adolescente qu’elle avait traversé la frontière invisible séparant Chinatown du reste de la capitale, quelque part autour de la place d’Italie. La première fois qu’elle vit la cathédrale Notre-Dame, la tour Eiffel, les quais qui longeaient la Seine, l’île Saint-Louis, elle eut l’impression de se retrouver dans un pays étranger. »

            On suit principalement les Truong, en note on peut lire : « Les Truong, Vietnamiens, sont souvent pris pour des Chinois. Cela agace souverainement Alice, Vietnamienne du Sud, pour qui la Chine représente l’ennemi immémoriel. » Mais pas qu’eux, il y a Virgile le Sénégalais, amoureux du point-virgule chez Proust, escroc et maître des histoires pour les demandes de permis de séjour. Il y a Liêm qui se convertit à l’Islam et devient un farouche défenseur de la cause palestinienne ; Iléana, la pianiste roumaine, immigrée pour nourrir sa fille restée au pays et qui devient nounou. On suit donc d’autres immigrés qui sont aux Olympiades et quelques SDF des sous-sols.

            On suit également un migrant de l’intérieur, Clément Pasquier le Sarthois, qui se prend pour le chien de Michel Houellebecq et pense que le grand remplacement a commencé. Enfin Armelle, La Blonde, toujours bien lisse, bien mise, un peu hautaine : « La séduction de la blondeur perdurera à travers les âges. A Rome, les brunes se teignaient à la chaux, avec de l’excrément de pigeon… »

            Ce passionnant roman est ponctué de notes en bas de page, surprenantes au début, puis recherchées car elles arrêtent le récit et en même temps le prolongent, renforcent le réalisme et font paires avec de courts chapitres (entre 1 à 3 pages), tantôt des échanges de mails, tantôt des précisions sur les ascenseurs, ou encore un jour précis comme « La mort de Lady Di 31 Août 1997 »…

            « Roman choral » dit la quatrième de couverture, c’est vrai, mais l’image qui m’est venue en le lisant, c’est celle d’un bel arbre avec ses notes-racines, ses branches maitresses (la biographie des Truong), et ses branches secondaires accompagnées des feuilles (les autres personnages). C’est un premier roman fort plaisant.

Michel Lansade 
(11/02/22)    



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Lectures







Doan BUI, La Tour
Grasset

(Janvier 2022)
352 pages - 20,90 €

Version numérique
14,99 €









Doan Bui
est grand reporter à l’Obs, prix Albert Londres 2013. Son dernier livre, Le silence de mon père, récit autobiographique paru en 2016 a obtenu le prix Amerigo Vespucci et le prix de la Porte Dorée. Elle est également scénariste de deux BD. La Tour est sa première fiction..