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C’est bien Jésus, ce messie crucifié pour le salut des hommes, fils de Marie et de Joseph le charpentier, qui est le héros de cette fiction. De façon romanesque et loin de toute démarche religieuse ou blasphématoire Giosuè Calaciura, pour combler les vides laissés par les Évangiles sur la vie de Jésus entre sa naissance et le début de son ministère à trente ans, imagine l’enfant et l’adolescent qu’il aurait pu être et lui attribue de multiples aventures ancrées dans son époque. La mère, jeune femme violée par un certain Gabriel et épousée ensuite par le vieux Joseph, aime à raconter à son petit sa naissance dans une étable de Bethléem entre un bœuf et un âne, l’aide apportée par la population locale et leur longue fuite à travers le désert suite au massacre des innocents commandé par le roi Hérode. Si, suite aux prédictions des mages venus rendre hommage au nourrisson le jour de la comète, celle-ci croit son fils promis à un destin exceptionnel, elle entretient cependant à ce sujet un flou mystérieux. « J’ai compris que chaque mère (…) raconte à son fils sa naissance comme un conte, l’unique miracle dont nous soyons certains pour qu’il ne soit pas trop cruel d’être au monde les nuits féroces de tempête. » Joseph, lui, verrait bien son fils adoptif prendre sa suite dans ce petit atelier de menuiserie qui réussit à faire modestement vivre sa famille. Si la chasse menée par les soldats du roi avait fait de Marie et Joseph des parents inquiets et surprotecteurs, Jésus était un « enfant normal, sain et robuste ». Quand ses parents profitent d’une cérémonie de circoncision pour amener Jésus à Jérusalem voir le Temple, il a douze ans. Y découvrant avec effarement que les actes religieux se payaient et que les intermédiaires y extorquaient de l’argent aux croyants, il en conclut que l’usage de l’argent dégradait la religion et les relations humaines. Peu après, le charpentier taciturne quittera le foyer pour, selon la mère, trouver un travail au loin afin de leur procurer une vie plus confortable. Jésus, dubitatif sur cette version rassurante émise par une mère aimante et protectrice, et ne supportant pas cet abandon brutal que rien ne laissait prévoir, décidera deux ans plus tard de fuguer pour retrouver son père. Le voyage en solitaire et sans argent est dangereux et rude. Arrivé au marché de Jérusalem, un vieux menuisier propose au jeune garçon mal en point de le nourrir et le loger en échange de son aide. Ce sera une halte salutaire auprès d’un double de son père. Cette pause réparatrice trouvera son terme un mois plus tard avec l’arrivée sur le marché d’une troupe de cirque ambulante dirigée par un certain Barabbas qui terminait ses numéros avec l’apparition de Delia, « la plus belle femme du monde voilée ». Un regard suffit pour que l’adolescent en tombe amoureux. Abandonnant l’humble et bon menuisier – « les jeunes gens sont comme des insectes pollinisateurs : ils n’ont pas le temps de s’arrêter sur la fleur la plus accueillante. Ils doivent suivre leur mystérieux projet » – Jésus embarquera avec le cirque pour les routes de Judée. Il y fera connaissance avec la faim, la violence, le mensonge, l’escroquerie mais aussi la liberté, la musique, le secret de la trop belle Delia, les joies de l’amour et le frisson de l’aventure. Il s’y découvrira également un talent d’orateur doublé d’un certain courage qui les sauvera de bien des situations délicates, des places de marché à la cour du fils du roi Hérode. Une double trahison viendra mettre fin à l’existence du petit cirque ambulant et à la relation entre Delia et Jésus. À dix-sept ans, le garçon meurtri, sans le sou et livré à lui-même prendra donc le chemin du retour vers Nazareth pour retrouver sa mère, honteux de s’être si facilement laissé détourner de sa quête première. Pendant plusieurs années, il y reprendra le métier de son père, jouera de la flûte le soir dans le jardin, prendra soin de cette mère silencieuse et attentive dont le regard semble toujours attendre de lui quelque chose qu’il ignore. Dans ce paysage desséché et battu par le sable, Jésus use sa vieille ânesse puis son propre corps à chercher et porter de l’eau pour Marie afin de leur offrir un jour ou deux de sursis avant de repartir traquer cette indispensable ressource. C’est comme si le temps et la vie s’étaient suspendus. Si l’auteur évoque ici avec malice la fabrication de trois croix par Jésus lui-même à la demande des Romains, fait allusion à quelques miracles entrevus dans des songes prémonitoires, et s’amuse à mettre en scène de façon banale ou décalée des figures comme Judas, Lazare, Barabbas, ou Jean (qui deviendra Jean-Baptiste dans les Évangiles) cousin proche de Jésus qui a quitté sa famille à Jérusalem pour rejoindre les prieurs itinérants, ce récit s’apparente non au récit religieux mais à un récit d’initiation concernant Jésus, un adolescent semblable à tant d’autres qui n’aspire qu’à trouver sa voie, à tomber amoureux, à construire une famille, à être juste et généreux avec les autres et à surmonter le plus honorablement possible les difficultés que lui, sa famille ou sa communauté rencontrent. Si ces désirs semblent légitimes, le contexte historique dans lequel ils s’expriment (vivre en Palestine sur une terre ingrate, dans un milieu pauvre en des temps troublés par l'occupation romaine alors que des luttes de pouvoir et l’appétit d’argent divisent et nourrissent une sourde révolte), ne cesse de dresser contre lui des obstacles qui lui permettront de se construire à travers des aventures palpitantes pleines de rebondissements. Mais ce roman d’initiation doublé d’un roman d’aventures, par la nature de son personnage principal qui en est aussi le narrateur est également une histoire de secret de famille et de mystère. Si le garçon navigue en plein questionnement et en plein doute, presque agacé par cette foi aveugle que sa mère semble avoir en son avenir sans jamais l’avoir jamais clairement exprimé ni explicité, le lecteur, lui, sait quel sera son destin en fin de course. Cependant, face à l’innocence naïve du Jésus de Giosuè Calaciura et à l’empathie qu’il provoque autour de lui et chez le lecteur, on parvient en l’accompagnant à oublier presque totalement la stature exceptionnelle du personnage pour le considérer comme un adolescent ordinaire à la recherche du père, à celle de son identité, à celle de l’amour, dans un contexte géographique et historique donné, confronté aux aléas, eux plus universels et intemporels, de l’existence et à la difficulté de grandir et de se trouver. C’est un jeune Jésus humain plein de vie et de désirs, tourmenté par un mystère familial qu’il devine sans en connaître la nature, avide de découvertes et de rencontres que l’écrivain sicilien invente en toute liberté pour nous. Et cet enfant sensible et inquiet que nous découvrons dans son milieu familial jusqu’à ses douze ans, que nous suivons trois ans dans sa quête adolescente le long des routes avant de le voir ensuite construire au quotidien son existence de jeune adulte honnête, serviable, courageux et volontaire à son retour au bercail, prend au fil du récit une épaisseur humaine. Le pari était difficile et Giosuè Calaciura, combinant ses qualités de conteur et d’écrivain sensible parvient progressivement dans Je suis Jésus à s’éloigner de la fable pour, au-delà de son érudition et son savoir-faire, construire une histoire vivante, combiner sa connaissance des adolescents et des hommes avec les trésors de son imagination afin d’apporter à son Jésus l’épaisseur d’un simple être humain, banal mais lucide, aussi curieux des mystères du monde et de la vie que révolté par l’oppression et les injustices qu’il a découvertes lors de son périple en Judée et à Nazareth, pour partir au combat par solidarité avec ses frères en assumant le destin qui est le sien. Une belle réussite. Dominique Baillon-Lalande |
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