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Georges-Olivier CHÂTEAUREYNAUD


La dernière génération de mortels


La rédaction des sept nouvelles qui composent ce recueil s’étale sur plus de vingt ans (1997-2018). Châteaureynaud, durant ces vingt années, a publié d’autres livres, dont un roman de plus de 700 pages – L’Autre Rive. Il a commencé à travailler sur À cause de l’éternité, 700 pages également, vers 2018, sans doute même avant. Ce gouffre entre la forme brève et le roman fleuve n’est qu’un gouffre apparent. Quel que soit le format, les thèmes brassés se répondent. Une œuvre littéraire, prise dans son ensemble, se reconnaît à – se définit par ? – son harmonie. La machine à imaginer de Châteaureynaud fonctionne en parallèle et en correspondances. 

Il serait tentant de chercher dans les nouvelles les thèmes mis en expansion dans des textes plus longs. Par exemple, dans Le Tout-petit, la nouvelle inaugurale de ce recueil, un narrateur qui parle à la première personne dépose son enfant à l’école maternelle et se retrouve dans le corps de cet enfant-là. Il n’aurait jamais imaginé qu’une journée de la vie d’un tout petit garçon soit aussi pleine, et aussi fatigante, que la journée de travail d’un cadre d’entreprise. On pourrait lire dans ce texte une anticipation de l’argument du roman Le Corps de l’autre (2010). On pourrait. Mais on réduirait la nouvelle à une esquisse, ce qu’elle n’est pas. Dans Le Tout-petit, l’enfant porte le prénom d’un des fils de l’auteur, et cela change tout. Et cela induit une part autobiographique sensible, que l’on peut retrouver dans tous les textes du recueil. En 2011, Châteaureynaud publie une véritable autobiographie, non cryptée et non passée au crible du fantastique, intitulée La Vie nous regarde passer, dans laquelle sa mère, qu’il appelle Monette, tient la place principale. Dans la nouvelle Première alerte, la mère est appelée Moune, et le texte est écrit à la troisième personne. La mère perd la tête, et le fils, au seuil de la vieillesse, se perd dans un Amiens labyrinthique, il ne se souvient plus où il a garé sa voiture, c’est la panique intégrale. Ce motif-là – devenir vieux et perdre la tête – il l’applique à l’un des personnages les plus importants de son œuvre et personnage à peu près central du diptyque de L’Autre Rive, Bogue. Le brocanteur Bogue est une projection de Châteaureynaud, qui a été brocanteur dans une autre vie, et s’en souvient. La nouvelle Les Encombrants met en scène un narrateur qui se laisse envahir par des objets récupérés dans la rue. Le premier objet qu’il rapporte chez lui est une lampe, qui lui a tapé dans l’œil car elle lui rappelait celle de sa tante Eliane et de son tonton Paul. Encore la référence à la famille… référence également présente, et ô combien plus douloureuse, dans Tac… Tac, où un père et un fils jouent au ping-pong, mais cette partie-là se joue aussi sur d’autres points, sur l’incompréhension de l’abandon et sur le mystère de la venue au monde « par accident ». 

L’œuvre littéraire de Châteaureynaud est un vaste système de correspondances, qui joue au moins sur deux niveaux : la transmutation de l’autobiographique en fantastique quotidien, et la relation que le lecteur peut établir entre ce qu’il lit et ce qu’il vit ou a vécu. On ne saurait être au plus près du sensible… Et par-dessus ce vaste système, une arche vient chapeauter le tout, celle de la pérennité, de la postérité. La nouvelle qui donne son titre au recueil, La Dernière Génération de mortels, a des allures de science-fiction : on ne meurt plus, ou tout au moins on ne meurt plus de vieillesse, on est encore à la merci d’un accident… Le texte se situe juste au moment de la bascule, de la soudure. Le narrateur appartient à la nouvelle race d’élus, on croise encore dans les rues des mortels de l’ancienne génération, « ils ne sont plus que quelques-uns. On les connaît, ou on les repère sans peine. On se les montre à la dérobée. Ils font pitié. Leur maintien, leur démarche, ont quelque chose de vaincu, d’à vau-l’eau. Qui a plus mérité le titre de perdant ? » Ce texte, de science-fiction philosophique, n’interroge pas seulement le sens de la vie et la victoire sur la mort. Il aborde aussi, en creux, le thème de la création. Les textes que nous écrivons et publions, sont-ils voués à l’oubli ou à la permanence ? Nous écrivons parce que le temps est court, parce que nous allons mourir et que nous voulons survivre, voilà ce que nous dit Châteaureynaud. « Travailler, réfléchir, aimer ou jouir, une voix me souffle que j’aurai bien le temps dans un autre siècle. » Nous n’en sommes pas là. La mort nous attend au tournant, et le temps qui passe rythme notre cadence. Voilà pourquoi toute l’œuvre de Châteaureynaud, et on peut le constater au sein de chacune de ces sept nouvelles, est bâtie sur la passion de la brocante, les relations enfants-parents, les failles temporelles – dans L’express Chaumont-Quito –, les souvenirs et la peur de l’oubli, les renoncements et les sursauts – J’arrête quand je veux –, la nostalgie, et le recours au fantastique pour tenter d’expliquer une existence absurde, ou tout au moins incompréhensible.

En moins de cinquante pages, le lecteur qui ne connaît pas Châteaureynaud trouve ici une porte d’entrée dans une œuvre importante de la littérature française contemporaine. Le lecteur déjà familier de l’œuvre retrouvera, dans La Dernière Génération de mortels, des thèmes essentiels, servis par une langue brillante, où l’ironie le dispute à la tendresse.

Christine Bini 
(22/08/21)    
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Le beau jardin

(Août 2021)
48 pages - 6 €













G.-O. Châteaureynaud,
né en 1947, nouvelliste et romancier, prix Renaudot 1982 et Goncourt de la Nouvelle 2005, est l'auteur d'une trentaine de livres.


Bio-bibliographie sur
Wikipédia













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