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Gilles DIENST

Le sens du vent


Le recueil comprend huit nouvelles et sept narrateurs à la première ou troisième personne car la nouvelle titre qui inaugure le recueil (la dispersion des cendres d’une mère par son fils écrivain face à la mer) fonctionne en boucle avec la huitième reprenant les mêmes protagonistes quelques mois plus tard pour une fin ouverte vers le bonheur. Le lecteur y suivra successivement, William, père d’une fillette renversée par une voiture qui finira bien plus tard en course poursuite (Finir autrement) ; un barbecue qui réunit un homme frustré et son ami d’enfance, riche flambeur propriétaire d’une Maserati jaune qu’il veut absolument lui faire tester (De la boue dans les fibres) ; un amour clandestin né d’un site de rencontre qui réserve quelques surprises (Remontées acides) ; un veuf, juge, collectionneur d’art, vivant seul dans l’impressionnante maison de maître léguée par son épouse transformée en musée qui, suite à la rencontre de son chien et de la belle Vanessa, tombe malencontreusement dans le grand escalier en marbre comme sa femme deux ans plus tôt (Coupable) ; la liaison entre une charcutière et un vieux libraire cinéphile qui se transforme en film noir américain (Chambre froide) ; un jeune boucher victime d’un accident, transformé en toréador par les yeux d’une jeune cliente du centre de rééducation, qui endosse ce rôle avec passion jusqu’au bout (Le coup du bœuf)

Ici, les personnages menant une vie pas très différente de la nôtre, bouleversés par un évènement qui infléchit leur existence, emportés par le vent ou le hasard vers un ailleurs inattendu, se laissent piéger. Certaines rencontres peuvent s’avérer fatales, d’autres porteuses d’espoir. Avec Gilles Dienst tous les possibles sont permis. Pas de plans machiavéliques mais des opportunités qu’il faut saisir, toujours dans l’urgence.

Les rapports entre les hommes et les femmes n’y sont globalement pas les plus harmonieux qui soient et les hommes y reluquent à loisir les femmes de façon insistante et libidineuse (plus particulièrement dans Coupable qui avec ses vingt-cinq pages est la nouvelle la plus longue du recueil). L’infidélité conjugale s’y croise plusieurs fois. Mentir, tricher et se cacher semble inhérent au registre du jeu de séduction et au fonctionnement du couple. La trahison fait partie intégrante d’un grand nombre d’histoires sentimentales de la littérature classique ou populaire et ce recueil ne fait pas en cela exception. Les relations entre hommes, amis d’enfance ou parents d’élèves, ne sont pas plus brillantes. Elles auraient carrément tendance à être empreintes de violence.

La confusion entre la réalité et les rêves est dans ce recueil omniprésente. Si Chambre froide qui laisse une place de choixaux fantasmes les plus fous du libraire aurait pu inspirer un scénario à Claude Chabrol ou à François Truffaut, Evelyne, sa comparse qui un temps s’est prise pour l’actrice Lana Turner, Audrey qui a gobé sans méfiance le profil idéal de Stéphane venu lui vendre la relation rêvée qu’elle était venue chercher sur Internet, Vanessa qui devant la richesse de ce vieux juge sensible à ses charmes s’imagine aussitôt une nouvelle vie, sont toutes des femmes qui se sont déconnectées de la réalité par désir de se retrouver à la place de l’héroïne d’un des contes merveilleux qui ont bercé leur enfance. Si William, le père en souffrance, s’est lui muré dans le déni du présent en continuant « comme avant » à attendre sa fille, ce n’est pas par rêve d’un avenir mais par refus de cet inacceptable présent, pour ne pas sombrer.
Parfois dans les interstices la folie s’invite. Le libraire, l’ami d’enfance et le père éploré, en sont l’illustration.
La mort aussi, naturelle, accidentelle ou plus douteuse, avec une mort violente dans quatre des nouvelles, est dans ces nouvelles noires au rendez-vous. 

Avec une écriture apparemment simple mais non sans chausse-trappes, fluide, drôle, précise, sensible et pince-sans-rire parfois, l’auteur, à travers ses anti-héros que nous pourrions connaître, pointe du doigt avec tact nos fuites et nos failles. Gilles Dienst aime aussi à parsemer de références culturelles (art plastique, cinéma) ses nouvelles qu’il double d’une bande-son rock américain des années 70 (Patti Smith, ZZ-Top, Bruce Springsteen, Beach Boys, Rolling Stones, Marvin Gaye…). Pour nous conter ses histoires courtes (une quinzaine de pages en général), il n’hésite pas à y ajouter une dose d’humour et de malignité, ménageant dès qu’il le peut un effet de surprise.

Ce premier recueil d’un galeriste, commissaire d’exposition, et auteur de plusieurs catalogues d’exposition, bien qu’assez classique est un sans-faute. Le mystère y est bien entretenu, le rythme est là et le plaisir est au rendez-vous. 

Dominique Baillon-Lalande 
(22/08/22)    



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Lectures







Gilles  DIENST, Le sens du vent
Quadrature

(Avril 2022)
136 pages - 16 €

Version numérique
9,99 €













Gilles Dienst
a été éditeur, galeriste, commissaire d’exposition… Le sens du vent
est son premier recueil.