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Corentin DURAND

L’inclinaison



Certains textes semblent parfois faire corps avec leur auteur.e, ce qui est souvent le cas d’un premier livre. Un premier livre réussi bien entendu. Un premier livre réussi comme l’est L’inclinaison.

De l’âge ou à peu près de ses personnages, Corentin Durand pose sa génération sur le billot de la littérature. Qu’est-ce qu’avoir dix-huit ans dans les années 2000 ? Le livre entier a quantité de réponses à apporter mais toutes vont plus ou moins dans le sens de celle-ci, portée par le narrateur : « Cette génération nouvelle, la mienne, dissipe dans des trafics de merde et des pulsions éphémères ce qu’il reste de feu dans un monde éteint. Et on s’étonne de notre lassitude, de la dérision qui nous habite, de la paresse de nos rapts.  »

Outre la justesse du propos, on remarquera combien la langue de ce très jeune écrivain est déjà mature et élégante. Le lisant, on se surprend sans cesse à penser qu’il s’agit du livre d’un auteur consacré, ce qu’il deviendra sans doute. Ses personnages, eux, s’en sortent moins bien, qui se démènent pour garder la tête hors de l’eau mais le font si mal qu’ils finissent, soit par trahir un tiers ou un autre et rentrer dans un moule social qui ne leur convient pas, soit à végéter, soit à se faire disparaître, se tuer. Le monde éteint a alors gagné un feu de moins, s’éteint un peu plus.

C’est un livre sombre, un livre grave, on s’en doute. Ou plus exactement, un livre empli de mélancolie et de tristesse. D’où sa beauté car la tristesse est un sentiment fait de profondeur, ce dont est pétri L’inclinaison, ce petit joyau littéraire qui tient tantôt du récit à suspense, tantôt du roman d’analyse.

Mais pourquoi ce titre, L’inclinaison ? Rien à voir a priori avec la tristesse et le déclin d’une jeunesse dans un monde sans feu. Il faut en revenir ici au narrateur, le personnage principal, né au moment même où l’un de ses oncles mourait du sida. Dans sa famille, le mot était aussi tabou que l’homosexualité si bien que l’enfant a grandi dans une atmosphère de non-dit dont il a cependant retenu qu’un homme aimant un autre homme était un individu à haïr. Ainsi fut fait. Devenu jeune homme, il se mit à détester les homosexuels… mais à les désirer tout à la fois.

De cette lutte entre sa détestation et son inclinaison est née sa haine de lui-même. Homosexuel, lui ? Impossible. Amoureux du Bleu, son ami ? Impossible. Avide de partouzes dans des lieux sinistres où les hommes viennent trouver refuge dans d’autres hommes ? Impossible.

Mais comment vivre alors ? C’est cette expérience et cette traversée que propose L’inclinaison. Au fond : comment traverser un monde éteint en l’étant soi-même ? La question vaut le détour. Et le livre encore plus.

Isabelle Rossignol 
(01/09/22)    



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Gallimard

(Août 2022)
304 pages - 20 €










Corentin Durand
a 25 ans. L’inclinaison
est son premier roman.