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Collectif Espace Nord

Fenêtres sur court


Cette anthologie regroupe vingt-deux nouvelles écrites par douze autrices et dix auteurs francophones de Belgique éditées sous forme de plaquette de 1994 à 2019 à l’occasion de la Fureur de lire. Nouvelle policière, tranche de vie prise sur le vif, récit fantastique, nouvelle sociologique, d’atmosphère ou insolite, s’y mélangent de façon équilibrée avec cinq ou six nouvelles autour de quatre thématiques : « La compagnie des bêtes », « Des grandes espérances », « La guerre des mondes » et « Des histoires de familles ». Une notice bibliographique présentant chacun(e) des autrices et auteurs termine l’ouvrage.
 
S’il est difficile de parler de cohérence dans le cadre d’un recueil collectif non centré sur une thématique commune, on peut néanmoins, au-delà de leur diversité de genre, de génération et de style des auteurs, trouver ici par moment des échos fugaces ou des passerelles entre certaines nouvelles. Outre les quatre thèmes qui organisent le recueil, l’amour, le couple, l’enfance, la mort, traversent bien évidemment nombre de ces histoires. On sourit et rit parfois, devant l’infante capricieuse de Elle mettait des cafards en boîte (Thomas Gunzig), du statisticien hors classe de Avec Méthode et Cyanure (Karel Logist) dont la vie bascule grâce à l’adoption d’un petit Beagle nommé Méthode, ou de ce garçon de vingt ans, narrateur de La mort d’Elvis Presley (Nicolas Marchal) qui vient de perdre ses dents dans son sommeil et se sent condamné à « vivre à perpétuité jusqu’à ce que mort s’ensuive ». On se laisse prendre à une certaine sensualité sur fond de cuisine dans Citrons amers (Dominique Costermans) et entraîner avec légèreté dans la danse collective du Jour de la révolution joyeuse (Dominique Maes), avant que la douleur et la colère exprimées par Jeanne engloutie dans l’ombre de sa petite sœur trisomique (Pas Grave de  Corinne Hoex), celles ressenties par l’ouvrier métallurgiste face à l’arrêt définitif du Haut-fourneau 6 (Venant du cœur de Nicole Malinconi), celles d’Alika, la jeune Philippine employée de maison à demi-séquestrée (Adeline  Dieudonné) et surtout celles, insoutenables, de l’enfant-soldat dans Kadogo (Aïko Solovkine), émeuvent ou prennent aux tripes.

Fenêtres sur court est aussi l’illustration faite par son équipe d’auteurs d’une grande maîtrise du genre. L’énergie s’y impose sans faiblir et les phrases d’attaque font souvent font mouche : « Le jour de mes vingt ans, j’ai perdu toutes mes dents. » in La mort d’Elvis Presley, « A cette époque, je bandais encore. » in Distorsions harmoniques, « Je suis dans le noir. Dans le placard à chaussures. » in Pas grave... L’art de la « chute » n’est pas en reste et c’est bien évidemment toujours avec le même plaisir que le lecteur se laisse surprendre par une issue aussi maligne qu’inattendue, ce qui se produit ici à plusieurs reprises.

L’ordre des nouvelles composant un recueil est toujours une question sensible. Le fait de ne pas avoir suivi ici la facilité d’un classement alphabétique des auteurs ou chronologique des nouvelles mais d’avoir décidé de scinder l’ensemble autour de quatre thématiques distinctes, en ce qu’il n’ajoute pas au saut d’un auteur à l’autre celui du sujet, est un atout. Cela ménage au lecteur moins habitué à la nouvelle un certain confort de lecture. L’ordre dans lequel ces quatre univers s’organisent, n’est pas anodin. Le recueil débute sur le rapport généralement affectueux entre Bêtes et Humains, il passe ensuite par l’Espérance avec des textes oscillant entre joie et désillusion, avant de virer vraiment au noir avec la Guerre puis la Famille, qui n’offrent plus, pour chaque thématique, qu’une seule nouvelle apte à calmer en partie et momentanément la tension.

La cohabitation entre ces vingt-deux artistes est harmonieuse et la qualité de l’ensemble est au rendez-vous. Cette montée en puissance de l’émotion parvient très étonnamment à faire de ce pot-pourri littéraire un objet en soi, qui a tout pour satisfaire l’amateur de nouvelles et les lecteurs friands de découvertes. 

 

Cette initiative d’Espace Nord de mettre en valeur la nouvelle francophone belge est fort bien venue. La Fédération Wallonie-Bruxelles a depuis de nombreuses années dans son sein de fort bons auteurs et nouvellistes qui méritent qu’on les fasse connaître. Les lecteurs séduits par Fenêtres sur court pourront trouver d’autres titres d’une partie des auteurs ou autrices de cette anthologie dans le catalogue de La Collection Espace Nord qui rassemble depuis 1983 plus de 400 titres du patrimoine littéraire francophone belge, entre réédition d'œuvres phares de l'histoire littéraire et édition d’auteurs contemporains. Le catalogue des éditions Quadrature (Louvain-la-Neuve), spécialisées dans la nouvelle littéraire, peut être une ressource complémentaire pour les publications les plus récentes. 
Plusieurs écrivains ici à l’honneur ont déjà trouvé un écho dans Encres Vagabondes pour leurs publications (nouvelle, roman, poésie, jeunesse) ou leur participation à un collectif de nouvelles : Thomas Gunzig, Caroline Lamarche, Jean-Baptiste Baronian, Paul Colize, Agnès Dumont, Adeline Dieudonné, Dominique Maes, Zoé Derleyn, Corinne Hoex...

Dominique Baillon-Lalande 
(04/01/22)    



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Lectures







Collectif Espace Nord, Fenêtres  sur court
Espace Nord

(Septembre 2021)
280 pages - 10 €












Valérie de Changy
Thomas Gunzig
Caroline Lamarche
Françoise Lison-Leroy
Karel Logist
Frédéric Saenen
Jean-Baptiste Baronian
Paul Colize
Dominique Costermans
Agnès Dumont
Nicolas Marchal
Adeline Dieudonné
Kenan Görgün
Dominique Maes
Nicole Malinconi
Aïko Solovkine
Zoé Derleyn
Corinne Hoex
Thierry Horguelin
Éva Kavian
Yun Sun Limet
Jacques Richard