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Augusto, la quarantaine, chef d’une entreprise de recyclage de pneus dans le Nord prospère de l’Italie, est le narrateur et le personnage En Suède, un jeune homme élevé par son grand-père depuis l’exil de ses parents au Minnesota, se retrouve à la mort de celui-ci, pourtant ex-directeur de banque, contraint de vendre la maison familiale pour couvrir les dettes laissées en héritage. Se retrouvant à la rue sans le sou, lui vient alors l’idée de tenter sa chance à Skogberga Vaddesta dans l’établissement autrefois géré par son grand-père, pour trouver un emploi. Bien que cet univers lui soit au départ tout à fait étranger, le directeur en poste proposera à notre homme, comme précédemment à l’une des caissières vérificatrices s’avérant également petite-fille d’un des ex-directeurs, un poste d’assistant stagiaire du gardien pour jauger son sérieux et lui permettre de découvrir de l’intérieur ce qu’est un établissement bancaire. « Toute société qui atteint un certain niveau de civilisation éprouve le besoin de se doter d’un système bancaire (…) Le banquier est un garde-frontière. Il sépare la rue et l’argent ». « Nous nous tournons les pouces pendant que l’argent travaille pour nous comme un esclave (…) Cet esclave nous en sommes nous-mêmes les plus misérables des serviteurs ». Quelques mois plus tard, on l’affectera à un poste fixe de caissier, de quoi s’assurer une paye régulière, s’installer dans un petit appartement et pouvoir inviter parfois Elin, la seconde caissière vérificatrice qui lui plaît bien, au cinéma ou au restaurant. Si l’institution financière finit par devenir son seul univers et qu’il en découvre assez vite le fonctionnement, sa routine et son personnel, en homme curieux, il continuera longtemps à questionner les uns et les autres pour comprendre plus à fond tous les rouages du métier et de l’établissement. « L’argent n’a pas de roi. » « De quoi l’argent tire-t-il sa valeur ? (...) N’a-t-il rien qui lui soit propre ? Le propre de l’argent, c’est de ne pas en avoir. On n’a pas la guerre, on a la puissance militaire. On n’a pas de navire, on a la mer. » « L’argent est comme un marcheur sans trêve ni repos. Les pièces doivent brûler la main, les billets devraient changer de couleur d’un jour à l’autre et perdre leur valeur s’ils ne sont pas immédiatement utilisés. ». « Tu vois ? Que devrais-je voir ? Des millions qui dorment. Nous devrions les réveiller. » Au fil des pages, Elin et lui furent mutés au « service des prêts et dépôts », puis au « service de gestion du patrimoine », du change, des encaissements, etc. Ils finiront par se mettre en couple et par fonder une famille. La force de Magnus Florin est de nous attacher pas à pas à ses protagonistes naïfs qui incarnent l’établissement, le narrateur, sa femme Elin mais aussi l’un ou l’autre de leurs collaborateurs (sans noms ou prénoms mais définis par leur seule fonction) et surtout, le plus ancien d’entre eux, le « responsable de la chambre forte » éternellement rivé à l’ennui de son sous-sol que seule la passion des récits d’aventures, des territoires inconnus et de voyages, comme un ultime désir d’évasion jamais concrétisé, maintient en vie. Ce poste de gardien du trésor auquel celui-ci avait consacré toute sa vie avec abnégation avant de décéder au seuil de sa retraite, disparaîtra avec lui. La valse des directeurs impulsée par les inspecteurs rythme la musique sans en changer la tonalité. Narré chronologiquement sur plusieurs dizaines d’années, La banque, entre documentaire, fiction et théâtre, à travers l’idéologie capitaliste qui a prévalu à son élaboration, son basculement vers l’économie financière, la place prépondérante qu’y ont pris la robotique puis le numérique, est une implacable dissection du système bancaire, de ses logiques, de son évolution et de sa vacuité. Comme se le demande le narrateur : « Quelqu’un doit bien être perdant, au bout du compte ? » C’est à travers des dialogues anodins et superficiels entre le narrateur et ses collègues, sa femme ou les directeurs successifs, que le récit progresse. Pas de long développement ou d’analyse ouvertement politique dans La banque mais de courtes répliques prises sur le vif et des sentences ou petites phrases assassines et cinglantes, qui s’entrelacent pour tisser un texte décousu et passant volontiers du coq à l’âne, dépourvu de sens comme la réalité même de ce que Magnus Florin dépeint. Des images symboliquement fortes comme celles très exotiques qu’évoque le surveillant de la chambre forte pour meubler ses interminables journées au sous-sol ou les tirelires plus ridicules les unes que les autres qu’un des directeurs collectionne dans son bureau, introduisent la dose d’absurdité et de surréalisme qui devant une réalité si affligeante fait basculer le lecteur dans le rire. Si Magnus Florin présente non sans une certaine férocité l’institution bancaire comme une machine à produire des inégalités sociales et à générer du profit pour la seule élite financière qui en connaît les rouages et bénéficie de sa bienveillance, c’est avec une certaine naïveté feinte et avec beaucoup plus d’humour que de violence qu’il en fait le tableau : « Mon conseil d’administration est composé presque à parts égales d’aventuriers naïfs et de sots manipulables. » « Ne sortez jamais avec l’argent de la banque dans vos poches. Mourir avec l’argent de la banque sur soi ferait mauvais effet. » « Un mandataire peut mourir. Le mandat lui demeure. » Cette fable aussi drôle que cruelle qui vient clore un triptyque dont les deux opus précédents portaient sur La pharmacie puis sur Le jardin, entre documentaire, réflexion sur la place de l’humain et de la machine dans nos sociétés et le poids de la financiarisation dans notre système sociétale, est un dossier à charge qui sous le couvert de la farce nous emmène plus loin qu’il n‘y paraît. À travers cette analyse aussi méticuleuse que déjantée de la vacuité des logiques bancaires et financières et la corruption qu’elle génère, c’est l'aliénation par le travail que dénonce La banque, voire le capitalisme qui détruit tout ce qu’il touche, et cela, bien que le récit se ferme à l’arrivée des ordinateurs, non sans trouver un écho interprofessionnel, universel et contemporain en chacun de nous. Dominique Baillon-Lalande (05/08/22) |
Sommaire Lectures Cambourakis (Février 2022) 116 pages - 16 € Traduit du suédois par Elena Balzamo
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