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C’est ce moment de bascule, quand chacune à sa façon s’affranchit de la peur et des donneurs d’ordres de cette société patriarcale, post-colonialiste et traditionnelle qui les enferme dans un rôle qu’elles n’acceptent plus, c’est leur audace, leur révolte, leur détermination et leurs désirs qui font le lien entre ces sept héroïnes ordinaires mais combatives, et dans leur ombre toutes celles qui rêvent ou s’apprêtent à faire de même. Plus encore, chez Souad Labbize, les femmes ne se contentent pas de briser leurs entraves mais esquissent un tableau critique et peu flatteur de ces hommes globalement passifs, arrogants et autoritaires, voire pour certains lâches et immatures, qui prétendent les soumettre. Ce sont toujours des femmes qui ici, avec une belle sororité, viennent en aide à celles qui osent revendiquer leurs droits. Si ces « fragments » qui composent « Glisser nue sur la rampe du temps » (et quel beau titre !) sont en prose, la poétesse débute chacun d’entre eux par un court poème de quatre à six vers qui y installe une part de mystère, d’universalité et de tragique. Mais après ces introductions poétiques, côtoyant le lyrisme de certaines descriptions, une sensibilité indéniable et une sensualité qui parfois émerge, des passages d’une autre nature, dotés d’un style brut, avec des phrases courtes, cinglantes à l’occasion, comme pour exprimer le danger imminent et l’urgence des situations narrées, s’intercalent. Ce procédé, outre qu’il donne de l’énergie au roman, m’a paru traduire formellement avec beaucoup d’exactitude les conflits intérieurs des protagonistes entre espoirs et angoisse et les rapports de force constitutifs sous-jacents qui minent les rapports sociétaux entre tradition et modernité comme les relations entre hommes et femmes. Jamais la brièveté de chaque tranche de vie n’empêche la justesse et la puissance de leurs mots ni l’urgence, palpable, qui porte ces femmes à jamais insoumises de s’y exprimer. On n’emprisonne pas l’eau vive, ni l’espérance. De ces femmes, en dehors d’un prénom et de leur prise d’autonomie brutale le lecteur apprendra fort peu de choses. C’est à partir de cet enchaînement de beaux portraits pris sur le vif de femmes contemporaines, courageuses et intelligentes autant qu’indignées et toujours en action que Souad Labbize compose son récit pluriel toujours porté par la même dynamique et la même intensité du désir d’être elles-mêmes. Si chaque fragment relate l’aventure individuelle de chacune dans sa singularité, leur conjugaison nous renvoie à un collectif subversif qui ouvre successivement la porte de cette cage où on voudrait enfermer toutes les femmes sans exception et démontre bien que toutes sont capables de relever la tête et d’assumer leurs choix, que l’évolution est en route et que leur victoire, à terme, est inéluctable. Le message féministe est clair. L’édition simultanée en Algérie (éditions Barzakh ) et en France devrait lui promettre un succès public bien mérité. La couverture de l’édition française par Blast est dotée d’une superbe illustration d’Annie Kurkdjian incarnant parfaitement l’étrangeté, la dureté de ce combat et le pouvoir de séduction de ce livre petit en taille et en court en nombre de pages qui a tout d’un grand. Glisser nue sur la rampe du temps, jamais victimaire, est un cri de lutte sauvage et joyeux qui traverse la nuit et les frontières avec une redoutable intensité émotionnelle. À lire et relire sans hésitation. Dominique Baillon-Lalande (14/01/22) |
Sommaire Lectures Blast 80 pages - 11 €
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