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Julie PEYR


Les disparus des Argonnes


Et voilà comment une romancière met en scène et en actes les comportements des différents protagonistes, imaginés à partir de cette douloureuse histoire de jeunes gens disparus qui a défrayé la chronique dans les années 80 et laissé un certain nombre de questions sans réponse.
C’est donc un roman. Et comme l’autrice Julie Peyr nous le précise elle-même dans sa préface : « Il s’agit d’un œuvre de fiction qui ne prétend aucunement représenter des personnes, des lieux ou des événements réels. »

Or, dans ce roman vont être proposées les différentes étapes construites à partir de cette réalité, et avec l’ambiance des années 80 et suivantes. Les descriptions, recherches et analyses de certains protagonistes, comme celles des souffrances liées aux situations dramatiques pendant toutes les années qui ont suivi les premières disparitions, seront les propositions de l’autrice. Car, et cela semble être le fil conducteur, le désir reste toujours vif, au fil de ce roman, d’évoquer, ou de supposer, voire de proposer ce qui aurait pu se passer.

C’est pourquoi les indications sociologiques d’un milieu, de même que celles de la psychologie des personnages, sont d’autant plus pertinentes ici. Et la façon toute simple qu’a l’autrice de nous montrer les paysages afin de nous faire sentir l’atmosphère qui en découle, nous touche, à la fois par son réalisme et son utilité romanesque. Cette évocation paraissant être là aussi pour harmoniser l’ensemble : « Les pâturages au loin, grillés par le soleil, se confondaient avec un ciel incolore ; la courbe du fleuve, d’un vert si éclatant habituellement, suintant comme une trainée de peinture fraîche, avait pâli et s’effaçait tout entière à l’approche du viaduc. »

La première partie du roman, qui en comporte trois, est consacrée à ce jeune homme, Gilles Veyrades, jamais arrivé chez ses parents, après être parti de la caserne où il faisait son service militaire, permission en poche. Et lorsqu’un gendarme se présente pour informer la famille que leur fils était considéré comme déserteur, la réaction de la mère du jeune homme, est décrite ainsi : « Son sang ne fit qu’un tour. C’est exactement ce qu’elle ressentit en cet instant, et c’est ainsi qu’elle le raconterait toute sa vie […] Mon sang n’a fait qu’un tour. Une sensation ancrée, indélébile. »  

Nous allons suivre alors les recherches de cette mère, Jocelyne, qui n’accepte pas l’explication trop simple et trop rapide de l’armée, et va donc mener sa propre enquête. Elle s’acharne, malgré son travail et sa famille, car elle est persuadée que son fils qui ne peut pas être déserteur, a dû être victime de quelque chose ou de quelqu’un.

Et plus tard, elle apprend qu’un autre jeune homme, militaire, lui-aussi, Marc Gendarme, a disparu : « Il avait été vu pour la dernière fois à la sortie de la caserne de Maillance, autre camp militaire des Argonnes. Lui aussi était un appelé parti en permission. Lui aussi avait fait de l’auto-stop au bord de la nationale 66 »
Jocelyne va aller voir la mère de ce jeune homme. « Les deux femmes n’étaient pas amies […] Mais le mépris avec lequel l’armée et la gendarmerie traitaient la disparition de leur fils renforçait le respect qu’elles avaient l’une pour l’autre. Elles se reconnaissaient dans cette colère qui grondait en elles. »

Ensuite un cadavre est retrouvé, mal ou trop vite enterré.
D’autres jeunes hommes vont disparaître.  
Plus tard un homme, Guy Lachêne, va être accusé et inculpé, parce qu’il transportait dans son van un auto-stoppeur enchaîné, et mal en point. Est-ce lui, le coupable de toutes ces disparitions ?  Selon son avocat, « l’enquête de police n’était bâtie que sur des suppositions imbéciles. Un comité d’experts avait établi un profil psychologique du criminel – il connaît la région ; c’est un solitaire ; il n’affiche pas sa sexualité ; ce n’est pas un simple homosexuel mais un pervers sexuel ; il connait les techniques commando ; il est peut-être militaire ; il choisit méticuleusement sa proie à la sortie des casernes – et sous prétexte que la personnalité de Lachêne présentait des similitudes, on le soupçonnait. »

Ces familles de milieux modestes – et, comme le dit un des acteurs de cette histoire, si elles avaient été mieux placées dans l’échelle sociale, auraient peut-être fait l’objet de plus de travail ou de recherches – sont décrites avec finesse et justesse, les caractères bien cernés, et la vision de la société des années 80 et suivantes, judicieusement perçue.
Les démarches continuent, la mère de Gilles Veyrades, participera même à une émission de télé.

Et il y a aussi des rebondissements, comme dans toute histoire où les questions sans réponse jouent un rôle important. Nous avons aussi un portrait de la justice, parfois complexe, où des erreurs d’interprétation peuvent être commises. 
L’écriture est alors simplement adaptée : délicate ou violente, réaliste, mais aussi poétique à l’occasion. Et particulièrement lorsqu’elle souligne avec finesse les répercussions de ces drames sur les parcours et destins.
Mais ce qui est surtout pertinent c’est la façon dont l’autrice combine cela en maintenant un certain suspense. Une bonne connaissance des différents milieux en question ? Peut-être, mais pas seulement !
Et c’est donc pour tout cela que ce roman touche, intrigue, révolte, et se lit d’une façon presque haletante, alors qu’il se déroule sur plusieurs années…

Anne-Marie Boisson 
(25/05/22)      



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Lectures







Julie  PEYR, Les disparus des Argonnes
Équateurs

(Janvier 2022)
352 pages - 20 €















Julie Peyr,

scénariste et romancière, signe ici son troisième roman.

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