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Jusqu’où l’amour pour sa fille peut-il pousser un homme ? Ici, Gustave Samson, dit Gus, est un loser. C’est du moins l’opinion qu’il a de lui-même et l’image qu’il donne à tout le monde. Il faut dire qu’il a de qui tenir… « Né loser, élevé loser. Gus a été à bonne école. Son père était un raté de naissance, lui aussi. Il en a fait son mode d'éducation. Non pas que le père se complaisait dans l'échec répété, mais puisque la malchance lui collait aux basques, et que ses tentatives de se sortir de la panade se soldaient par l'éternel bilan "Encore raté", il n'avait d'autre choix que d'affronter la réalité avec fatalisme : "Raté, j'suis qu'un raté", ressassait-il à qui voulait le plaindre. Belle leçon qu'il donnait là à son rejeton. Une mélodie qui s'incruste dans la tête. […] Gus préfère le label "loser". Il lui trouve plus de cachet. L'anglicisme sonne mieux en bouche quand le mouisard présente son pedigree. Un moyen d'aromatiser de glamour un constat qui n'a rien de glorieux. » L’école, les petits boulots, les filles, rien n’a vraiment marché mais il y a eu la rencontre avec Charlotte, une soirée arrosée, un préservatif trop fragile, et la naissance d’Émilie. Un miracle pour lui. « Un flocon de lumière tout droit tombé du ciel s'est posé gracieusement dans le baril de goudron du quotidien de Gus et a transformé son contenu en or. Émilie est née. Elle a illuminé sa vie. Seul couac, le goudron a absorbé la lumière du flocon. » Alors quand une juge aux affaires familiales décide de lui enlever la garde alternée, parce qu’il vit du RSA et loge dans un hôtel vétuste d’un quartier sensible, la colère le submerge. « Ils veulent qu’il réagisse ? Il va régir ! » Une prise d’otages ! Voilà la solution ! Il veut de l’argent et un avion pour partir avec sa fille au Venezuela. Les otages tout d’abord sont des personnages à part entière dont nous découvrons la vie peu à peu. Georges, le propriétaire de l’hôtel ; Boudu, un SDF sauvé de la noyade et recueilli par Georges ; Gwen et Dani, un couple illégitime qui se trouve au mauvais endroit au mauvais moment ; Fatou, une réfugiée ivoirienne, enceinte et proche de son accouchement ; Cerise, une jeune prostituée, qui occupe une des chambres pour son activité professionnelle ; Sergueï, un maffieux serbe qui utilise cet hôtel habituellement tranquille pour abriter ses trafics d’armes et de drogue ; et enfin Émilie, la fille de Gus, qu’il a réussi à faire venir sous un prétexte bidon… Tout ce petit monde va cohabiter pendant plus de trois cents pages et la frontière entre otages et complices va parfois être fragile. C’est avec des armes volées au trafiquant serbe que Gus pense pouvoir tenir un siège et il va avoir besoin d’aide pour résister à un déploiement impressionnant de policiers tout autour de l’hôtel. Georges, Boudu et Cerise trouvent son combat aussi stupide que légitime et le soutiennent face à l’injustice du système judiciaire. C’est la capitaine Mia Balcerzak qui dirige la négociation. Elle aussi va se révéler un personnage intelligent et nuancé. Mariée et mère de deux enfants, elle perçoit et respecte l’amour de Gus pour sa fille tout en trouvant absurde et suicidaire cette prise d’otages complètement ubuesque. D’autres mafieux vont se mêler de cette affaire, de même qu’un journaliste sans aucune déontologie secondé par une assistante écœurée mais disciplinée, et puis les réseaux sociaux, bien sûr, vont aussi prendre parti et médiatiser l’événement. Gus, sa fille et les otages vont vite se trouver débordés au cœur d’une situation qui part dans tous les sens, réserve sans cesse de nouveaux rebondissements et dont on se demande vraiment comme cela va pouvoir finir… Benoît Philippon met en scène ses personnages avec beaucoup d’empathie, prenant le temps d’expliquer leur présent par leur parcours de vie, mais offrant aussi aux lecteurs de véritables scènes d’anthologie quand de vrais méchants veulent s’attaquer au mari de la capitaine ou à l’ex-femme de Gus. On ne s’ennuie pas une seconde dans ce roman totalement débridé où l’humour le dispute sans cesse à l’émotion, où l’action s’accompagne d’une réflexion sur les difficultés rencontrées par certains pour survivre dans une société qui noie les plus faibles au lieu de les secourir. Serge Cabrol (13/05/22) |
Sommaire Noir & polar Equinox (Mai 2022) 384 pages - 19,90 € Livre de Poche (Mars 2023) 384 pages - 8,90 €
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