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Monsieur Wilder (l’auteur n’a jamais employé son prénom) venait de passer deux ans en Californie, il arrivait tout bronzé et nimbé d’une aura américaine. « Au-delà de son apparence physique, il avait, pour un élève sensible, le charme envoûtant du professeur-qui-sait, a compris, a trouvé et s'efforce, en retour, de faire partager ses découvertes, pour espérer de la sorte ravir son auditoire. Lui avait découvert l'Amérique, nous l'avait rapportée dans son allure, ses chemises Brooks Brothers, sa lecture du magazine The New Yorker, son sac Coach doté d'une bandoulière […] Que notre professeur revînt des États-Unis lui conférait un certain exotisme. Nous devinâmes vite qu'il saurait ainsi nous entraîner plus loin, plus loin que de l'autre côté de la Manche, plus loin que New York même, jusqu'en Californie, où, à la fin des années 1970, un nouveau monde était en train de naître (non sans soubresauts et, comme nous le savons maintenant, pour un temps malheureusement limité). Notre professeur d'anglais était un professeur d'américain […] Lors de sa première heure de cours, je n'aurais pu imaginer tout ce qu'il m'apporterait, chaque porte qu'il m'ouvrirait, mais au moins présumais-je qu'avec lui je ne m'ennuierais pas. ». Bien sûr, le physique et l’allure ne suffisent pas transmettre le goût pour une langue, une culture, une civilisation. Monsieur Wilder captivait son auditoire par sa façon d’enseigner, son goût pour les jeux avec les mots, le choix des textes étudiés, son humour, son respect pour les élèves, sa façon de les écouter, de les encourager, de les féliciter. L’auteur se souvient en particulier d’un livre que Monsieur Wilder lui a prêté, The folded leaf de William Maxwell. « Lis ça, c’est un très bon anglais et c’est dans tes possibilités. On en reparle après. » « J'avais mis plusieurs jours avant de commencer la lecture. [...] Lorsque je m'y risquai, soucieux avant tout de répondre au défi, je fus surpris de comprendre ce livre qui agissait maintenant sur moi comme une épiphanie : je pouvais donc lire en anglais, vivre dans une autre langue le bonheur de s'engouffrer dans un livre choisi, où on peut retourner à l'envi, chaque fois que la réalité du monde nous désespère. » Et le bonheur de découvrir qu’il peut lire en anglais lui réserve une autre surprise. Lorsqu’il rend le livre en précisant qu’il aurait quelques questions à poser, le professeur le félicite et ajoute : « Viens donc Mercredi dans la salle de documentation ; on en parlera, j'y serai après quatre heures... ». « Ainsi que je l'appris ce jour-là, Monsieur Wilder tenait salon une fois par semaine, à la fin de ses cours, en compagnie de quelques élèves. » Ils sont six à se retrouver tous les mercredis pour parler de leurs lectures en anglais en buvant une tasse de thé. Les réunions ont duré toute l’année scolaire. Un souvenir inoubliable. Au fil du livre, l’auteur précise tout ce que Monsieur Wilder lui a apporté, la confiance en soi, la nécessité de faire des choix et de les assumer, autant de conseils et de valeurs qui l’ont amené à se poser régulièrement quelques questions : Mais au-delà de ces réflexions, d’où est venue l’idée de lui consacrer un livre ? Le résultat est un bel hommage mais aussi un livre qui renvoie chaque lecteur à son adolescence et au souvenir des personnes, enseignants ou non, qui à un moment de la vie ont induit un choix, une orientation, une bifurcation… Un livre à la fois intime et universel, c’est le propre de la littérature. Serge Cabrol (12/12/22) |
Sommaire Lectures Arléa (Octobre 2022) 160 pages - 18 €
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