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Nicolas REY

Crédit illimité



Il n’est pas toujours facile d’être le fils d’un homme riche et puissant. Mais de là à vouloir le tuer… Il faudrait une très forte motivation ! Qu’est-ce qui a bien pu bouleverser Diego pour qu’il en arrive à envisager une solution aussi radicale ? C’est l’enjeu de ce roman qui brasse des sujets très sérieux avec humour et émotion. Diego, le narrateur, fait preuve de beaucoup d’autodérision pour partager avec nous ses sentiments et ses pensées les plus intimes.

Diego Lambert approche les cinquante ans et au moment où commence ce roman sa situation n’est pas brillante. « À l'heure où je vous parle, je me trouve sur une terrasse en face de la gare de Lyon. Ma profession ? Interdit bancaire jusqu'à la gueule avec des kilos de dettes et d'impôts impayés. Je suis mort. Je peux juste régler mon café. »
« Je suis totalement ruiné. La banque va mettre en vente mon appartement, je suis poursuivi par les impôts, fiché à la Banque de France, je suis incapable de vous dire par quel miracle mon téléphone portable continue encore de fonctionner et, pire que tout, mon abonnement à la chaîne OCS a été résilié. »
Il a emprunté à ses grands-parents (« Je les ai sucés jusqu’à l’os ») et il a taxé sa « petite sœur chérie » (mais son mari y a mis le holà). Quant à sa mère, « avec sa retraite d’enseignante à deux mille euros brut par mois, elle ne m’intéressait pas ».

Il ne lui reste qu’une solution. « Mon père possédait de nombreuses entreprises dans toute l'Europe et le monde entier. Il était un PDG reconnu, affichant les meilleurs bilans, estimé par les actionnaires et les salariés. Ses décisions, ses analyses, son charme, son éternel optimisme dans toutes les situations faisaient de lui un leader incontesté. »
Mais, revers de la médaille, c’est « un maître en manipulation, en chantage affectif, en violence, en hurlement, en racisme, en népotisme, en perversité. »

Il faut donc affronter le père. Diego va le voir dans son bureau et lui demande cinquante mille euros pour rétablir sa situation. Son père accepte mais à une condition. Diego doit se rendre dans une usine du Nord pour la « restructurer » c’est-à-dire licencier quinze salariés sur les cinquante qui y travaillent. L’entreprise marche bien mais il faut réduire la masse salariale pour augmenter les bénéfices des actionnaires.
La liste des sacrifiés est déjà établie, il doit seulement les recevoir, les informer officiellement de leur licenciement, leur signifier leurs droits, leur dire merci et au revoir.
C’est un défilé de situations plus émouvantes les unes que les autres, d’enfants à nourrir, de loyers à payer ou de crédits à rembourser, de rêves fracassés parce que pour la plupart, il sera impossible de retrouver un emploi dans une région sinistrée.
Diego s’efforce de prendre les choses avec légèreté mais la tâche est tout de même éprouvante et il se demande s’il n’y aurait pas une autre façon de procéder.

Dans la vie, il n’a que deux personnes dont il se sent proche. Mathieu, un jeune musicien sur qui il peut compter en toutes circonstances, avec qui il peut parler de tout très librement. Et Anne, sa thérapeute depuis quinze mois. « J’avais décidé de passer à l’héroïne le soir même. Elle m’a sauvé la vie. Je suis tombé amoureux tout de suite. » Elle est mariée, elle a deux enfants et pour Diego il ne peut s’agir que d’un amour platonique. « J’ai trop souffert pour qu’il en soit autrement, J’affiche complet niveau sentiment. Fermeture définitive du magasin. » Mais est-il raisonnable de dire « fontaine, je ne boirai pas de ton eau » ?

À partir de cette situation de départ, nous suivons Diego dans cette étrange aventure, obligé de satisfaire le père qu’il déteste en brisant la vie de quinze personnes qui ont travaillé des années au bénéfice d’une entreprise qui affiche un chiffre d’affaires très positif.

Le « je » nous permet de partager au plus près les pensées du narrateur et l’idée de tuer le père se révèle très tentante. Mais Diego parviendra-t-il à s’y résoudre ? Comment s’y prendre et quelles seraient les conséquences d’un tel acte ? Pas de souci pour en parler avec Mathieu mais pourrait-il aborder le sujet avec Anne à qui il a déjà confié tant de secrets ?

Nous suivons Diego avec plus de curiosité que de réelle empathie parce que c’est un personnage complexe, qui a beaucoup souffert mais ne semble pas toujours très sensible à la souffrance des autres, qui oscille entre égoïsme et générosité. Il a du mal à prendre la vie au sérieux. C’est justement la personnalité ambiguë du narrateur et la qualité de l’écriture qui font de ce roman un très agréable moment de lecture. L’auteur slalome avec élégance entre gravité et légèreté, on ne peut qu’applaudir une telle performance.

Serge Cabrol 
(05/10/22)    



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Nicolas REY, Crédit illimité
Au Diable Vauvert

(Août 2022)
224 pages - 18 €











Nicolas Rey,
né en 1973, écrivain et scénariste, a déjà publié une dizaine de livres.



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