Retour à l'accueil du site





Léa TOURRET

La fille de la piscine



On entend en sourdine le bruit de l’électricité qui fait battre le cœur de la piscine, qui fait claquer et grésiller les insectes, qui pourrait faire mourir en une fraction de seconde tous les nageurs innocents, les bonnets-lunettes musclés, les gamins qui sautent sans trop savoir nager, les vieilles dames lentes qui restent collées au bord et les copines qui bavardent en battant des jambes en rythme, côte à côte avec leurs planches.

Léna, la narratrice, hésite à sauter. Elle se trouve sur le plongeoir de 5 mètres nouvellement installé sur le bassin extérieur de la piscine municipale. Max, juste derrière elle, la presse de sauter, peu amène :
– Mais saute, tu attends quoi ?
– Putain mais t’as trop peur de sauter en fait ?

Léna vit sous l’emprise de Max, sa meilleure amie. Le récit, sous le soleil d’été, prend des allures de tragédie. Unité de lieu : la piscine ; unité de temps : l’été, les vacances scolaires ; unité d’action : draguer les garçons, être draguées par eux. Trois thèmes vont s’enchevêtrer dès le début du récit : les sensations de Léna, ses fantasmes de mort/meurtre, la crudité du vocabulaire de la sexualité qui rejoint celle des rapports filles- garçons.

Léna est une narratrice sensorielle très experte, on ressent très fort ce que ses sens ressentent :
Avant de descendre les escaliers, je tire sur ma culotte qui se gonfle imperceptiblement d’air et j’ai la sensation de porter une couche faite de nuages ou de souvenirs (quelque chose de vaporeux et d’intime).
[…] ce qu’on préfère faire Max et moi, c’est bronzer sur la pelouse enfin accessible, une mousse sèche qui picote un peu, qu’on foule pieds nus, brûlante comme une savane et mouchetée çà et là de fourrés de trèfles humides et frais, mais dans laquelle bourdonnent des bestioles attirées par le chlore.
Et ça pue le club Med, les délicieux cocktails bus à même les fruits, les pailles directement plantées dans le cerveau des noix de coco, juste parce qu’une dame à moitié rôtie s’enduit de monoï à côté de moi.

Les descriptions des sensations de Léna empruntent de plus en plus au vocabulaire de l’accident, de la violence, du meurtre. Le lecteur sent venir le drame, il couve, comme dans un thriller.
Je caresse une longue brindille que je brise en une multitude de morceaux, et puis je les enfonce patiemment autour de nous. Une barrière hérissée de tous petits pieux. Un piège fait pour empaler des lilliputiens ou déchiqueter la peau des pieds des enfants.

Quelqu’un saute du plongeoir :
Je ressens derrière moi un souffle d’air provoqué par la chute d’un corps et ça me donne la chair de poule sur la nuque et les épaules. J’entends le fracas lourd et satisfaisant. J’ai l’impression que je viens tout juste de me débarrasser d’un cadavre dans un fleuve.

Imprégnées de faits divers sanglants dont nos deux amies ont toujours un journal spécialisé qui traîne sur leurs serviettes, de l’outrance des réseaux sociaux où « on termine les gens » (elles sont sur Insta, Tik-Tok, Snap), de la violence des films d’horreur ou des pornos qu’elles ont vus, de la vulgarité et de la suprématie du mâle des téléréalités dont elles se délectent. Les filles de la piscine dont on ne sait pas qui est l’héroïne, de la narratrice, de la belle et cruelle Max ou de la naïve Sabrina, sont en première, terminale pour Sabrina, sont de très jeunes femmes, encore vierges, qui ne parlent que de bites et de sucer, et qui mélangent totalement réalité et fiction.

Léa Tourret décrit avec la minutie d’un chirurgien la cruauté des rapports entre ces ados-là, leur manque d’empathie et, plus inquiétant, à l’ère de Me Too, la complète soumission des filles à leurs congénères-garçons.  Je suis raide et silencieuse, pétrifiée dans le corps sans vie d’une poupée.

J’avoue qu’on ne ressort pas indemne de cette piscine, qui, on l’espère, sert de miroir grossissant pour seulement une partie des ados d’aujourd’hui, sinon, c’est à « se tuer !

Sylvie Lansade 
(20/10/22)    



Retour
Sommaire
Lectures







Léa  TOURRET, La fille de la piscine
Gallimard

(Mai 2022)
160 pages - 16 €













Léa Tourret

La fille de la piscine est son premier roman.