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Éric VUILLARD

Une sortie honorable


            Comme les livres précédents c’est un récit en quelques scènes, quelques portraits, cette fois sur la guerre d’Indochine.

            En guise de prologue, le texte commence par une Annexe très confidentielle à un rapport de l’inspecteur du travail de 1928. On y voit les coolies astreints à des cadences infernales dans les immenses plantations d’hévéa pour produire le latex dont a besoin la France (et l’Europe) et torturés à mort quand ils se rebellent contre ces conditions de travail. En lui-même c’est un petit récit de la vie coloniale en ce temps-là, un exemple de ce qu’apporte la France dans « sa mission civilisatrice. »

            Après la défaite-massacre des troupes coloniales à Cao Bang, en septembre 1950 nous assistons à une journée à l’Assemblée nationale (repas d’Edouard Herriot compris), le 19 Octobre 1950 et voyons là quelques-unes des forces en présence : le cartel des gauches qui se fissure un peu et des portraits dont celui magnifique de Frédéric-Dupont, dit Dupont des loges. « Édouard Frédéric-Dupont est né dans le 7e arrondissement de Paris, il en est un véritable autochtone, il en parle la langue, en connaît les coutumes et porte sa livrée. Il a une drôle de binette Dupont. Il faut dire qu’ayant participé aux émeutes fascistes de février 34, il a été blessé à la tête ; de là lui vient peut-être cet air lunaire, déplaisant. Mais les gens du 7e arrondissement récompenseront cette blessure de guerre, il y sera élu puis réélu sans cesse avec des scores vertigineux, des 95%, de véritables plébiscites. Chantre du général Franco, il votera, l’heure venue, les pleins pouvoirs à Pétain. Devenu vice-président du conseil de Paris à partir de 1941, sentant progressivement le vent tourner, il refusera de voter le budget pour 1944. Enfin, il démissionne du conseil, un quart d’heure avant le déluge. Quelques mois plus tard, la France est libérée. Ses actes de bravoure lui vaudront in-extremis la Médaille de la Résistance et la légion d’honneur. » En quelques mots de sa biographie nous voyons quel hideux personnage c’était.

            Retour au théâtre des opérations, l’Indochine, et c’est aux chefs militaires d’entrer en scène. On voit de Lattre de Tassigny et son inénarrable anglais lors de sa tournée américaine, Henri Navarre à l’habile stratégie qui conduira à Diên Biên Phù, de Castrie dans sa casemate… et pour clore le récit, comme une morale dans un conte, le conseil d’administration de la Banque d’Indochine.

            En un récit fait de petites touches, de petites scènes en France, en Indochine et aux États-Unis, en de brèves descriptions (dont les magnifiques paysages indochinois), de propos sérieux en délires, de faits historiques en courts portraits et biographies qui forment comme un poème, une ballade, nous comprenons mieux les enjeux de cette guerre coloniale.

Michel Lansade 
(12/01/22)    



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Lectures




Actes Sud
(Janvier 2022)
208 pages - 18,50 €

Version numérique
13,99 €



Éric Vuillard
Prix Goncourt 2017

Bio-bibliographie sur
Wikipédia



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Tristesse de la terre