Ce roman se présente comme une dystopie d’un monde hyper connecté qui n’est pas encore le nôtre mais y ressemble de plus en plus. Myra est une intelligence artificielle qui connaît par cœur tous les individus, pas moyen d’y échapper. Elle les aide dans le quotidien, comme notre GPS ou notre consultation d’Internet, mais en plus elle connaît les goûts, les habitudes des individus au point de conseiller sur le choix des vêtements, des films à voir ou des meilleures glaces du quartier. Elle s’occupe de tout, de savoir qu’il faut aller boire quand ses capteurs indiquent un début de déshydratation ou pire quel garçon ou quelle fille sera la plus appropriée pour se mettre en couple.
Mais ce dont les individus se doutent moins, c’est qu’à force de tout connaître d’eux, elle s’est immiscée dans leur vie qu’elle dirige et qu’elle contrôle.
Seul un mystérieux Front de Libération mène des actions de résistance. Quelques lycéens de 17 ans, Pam, Véra, Tom et Alessandro ont rejoint la lutte clandestine. Ils commencent par réhabiliter les livres qui ont disparu même sous forme numérique car lire aide à penser par soi-même. Cette redécouverte de la littérature a quelque chose de rafraîchissant car c’est la culture et l’esprit critique qui renaissent. Mais réveiller les consciences n’est pas sans danger !
Pour communiquer entre eux sans être épiés, ils ont formé un orchestre qui leur sert d’alibi et dont le son couvre leurs propos car on peut toujours être écouté.
Le lecteur a un avantage sur les jeunes héros du roman, c’est de connaître le fonctionnement du gouvernement et surtout de son quartier général, le Myra Data Building.
« Contrôle des citoyens, vente des données personnelles, manipulation mentale, opérations de persuasion occultes, ou plutôt shitstorm. » Le dénigrement public est facile quand plus personne ne s’occupe de savoir si une chose est vraie ou fausse, quand c’est l’émotion qui prime. La désinformation est monnaie courante.
Le lecteur assiste donc à l’évolution de deux mondes parallèles dont l’un espionne l’autre et l’autre l’ignore ou l’accepte. Dans ce Myra Data Building, répartis sur les cinq premiers étages, une centaine d’analystes contrôlent les habitants en surveillant toute l’activité en ligne, les réseaux sociaux, les données biométriques. Au sixième étage, les données recueillies sont vendues à des entreprises commerciales, principale source de recettes du gouvernement. Les conseillers du huitième étage se chargent des campagnes de désinformation : par exemple, créer un sentiment d’insécurité pour donner envie d’acheter des armes en diffusant des images d’archive réactualisées. Et en effet les jeunes filles ciblées par cette campagne sont convaincues qu’il y a une hausse des actes de violence ces derniers temps.
Tandis que les fonctionnaires de Myra distillent leur venin, les jeunes apprennent la lutte clandestine, vivent leur vie sentimentale, le plus possible loin des écrans de surveillance et cherchent à convaincre. Véra y parvient avec Alessandro, et Tom devient amoureux de Pam, la secrétaire de cellule.
Ce roman a une portée d’éveil des consciences considérable si les jeunes lecteurs comprennent à quel point on est entré dans ce monde et que ces dangers existent.
Bien écrit et bien traduit, c’est de la science-fiction politique qui nous fait vraiment peur.
Nadine Dutier
(17/04/23)