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Philippe GROSOS

La première image
L’art préhistorique



Cette première image n’est pas, comme on pourrait le croire, l’image la plus ancienne qui sera détrônée par une encore plus ancienne au cours de nouvelles fouilles, de nouvelles découvertes. Cette première image est celle qui a révélé un monde qui nous était inconnu, bien plus complexe, bien plus évolué que nous ne l’imaginions. Quand, en 1880, le premier relevé d’art pariétal paléolithique a été publié, la stupeur était telle que les spécialistes de l’époque ont cru à une supercherie. Il s’agissait du plafond orné de la caverne espagnole d’Altamira.

 Aujourd’hui avons-nous pleinement pris la mesure de cette découverte ?
Philippe Grosos, philosophe, spécialiste d’art paléolithique et de préhistoire nous fait découvrir l’extraordinaire degré de technicité des artistes du paléolithique, nos difficultés à interpréter ces images et l’évolution de ces interprétations.
L’auteur détermine quatre seuils importants pour situer, dans la continuité de l’histoire humaine, l’apparition de l’Homme.
– Au sein des hominidés, la rupture entre ponginés (famille des orangs-outans) et homininés date de 7 millions d’années. C’est le fossile nommé Toumaï trouvé au Tchad qui est le premier bipède découvert. Avec la bipédie nous libérons nos mains, nous modifions notre squelette jusqu’à notre visage.
– Le deuxième seuil date de 3,3 millions d’années, il concerne les plus anciennes pierres taillées trouvées au Kenya.
– Le troisième seuil est la domestication du feu, il y a environ 465 000 ans.
– Le quatrième seuil concerne l’apparition de l’art figuratif, il date de 40 000 ans.
C’est à cette même période, l’Aurignacien, que les autres formes d’humanité, les Néandertaliens en Europe de l’ouest et les Denisoviens en Sibérie, disparaissent.

Les auteurs de cet art figuratif sont incontestablement des artistes. Ils ont produit les colorants nécessaires à leurs peintures avec un soin extrême ; en sélectionnant les matières premières (oxyde de fer, de manganèse, charbons de bois), en les chauffant pour obtenir de nouvelles teintes. C’est entre 300° et 600° que l’ocre passe du jaune orangé au rouge. Dans la grotte de Lascaux on trouve même un rose nacré et un violet quasi uniques.
Les artistes préhistoriques étaient également maîtres de l’illusion. Ils ont résolu la question de la perspective en dissociant du reste du corps le membre qui devait être visible au second plan. Pour évoquer le mouvement d’un troupeau de chevaux au galop, seuls trois sont entièrement figurés. Les autres sont suggérés par l’esquisse de leur crinière et de leurs pattes en mouvement.
Les Préhistoriques savent tirer parti du relief et des aspérités des parois : telle découpe de la roche suggère la tête d’un cheval, tel rebond donne au bison le relief de sa bosse, tel piton, comme à Lascaux sert de support à un cheval qui l’entoure, de sorte qu’on ne peut pas le saisir d’un seul d’œil. « Car qui voit jamais, en même temps, toutes les faces d’un cube ou d’un piton ? »
Ces artistes, en plus de peindre, ont gravé, modelé l’argile et sculpté en bas-reliefs et en ronde-bosse ; une centaine de Vénus pour la période gravettienne.  La maîtrise technique de ces œuvres implique qu’il y avait des maîtres qui ont transmis leur art à des élèves.

Philippe Gosos tente d’extraire, à travers les interprétations données au fil du temps et ses propres observations, quelques invariants.
L’art pariétal, à l’intérieur des grottes, est contemporain de l’âge glaciaire. À partir de 10 000 BP (before present), avec le réchauffement du climat, les grottes sont délaissées au profit d’abris sous roche et la figuration animale laisse la place à des striures géométriques rainurées de type quadrillage.
Les animaux dangereux pour l’homme sont de moins en moins représentés au fil des millénaires.
La primauté de la diversité animale dans les figurations des Paléolithiques laisse supposer que les Sapiens du Paléolithique récent ont bâti en grande partie leur économie de subsistance autour de l’animal. Au niveau symbolique, « leur art figuratif – témoin objectif de leur culture – nous renvoie à la dominante écrasante d’un bestiaire. »

L’homme n’est jamais représenté en totalité. Des centaines de mains, le plus souvent négatives selon la technique du pochoir, attestent le contact de la main posée sur la paroi.
Pour faire allusion à la singularité humaine, les artistes choisissent ce qu’il y a de plus distinctif en elle : la bipédie. Le plus souvent un théranthrope, c’est-à-dire un mixte humain-animal. On le trouve déjà il y a 40 000 ans avec la statuette de l’« Homme-lion » des Hohlenstein-Stadel.  L’auteur nous rappelle que dès le IVème millénaire on retrouve ce type de représentation en Égypte pour figurer les divinités : corps humain et tête de faucon pour Horus, de crocodile pour Sobek, de canidé pour Anubis, de lion pour Sekhmet.

Un livre précieux pour mettre de l’ordre dans nos connaissances et pour admirer l’art pariétal d’un regard encore plus émerveillé.

Nadine Dutier 
(08/02/23)    



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Presses Universitaires
de Rennes

Collection Épures
(Janvier 2023)
128 pages - 9,90 €












Philippe Grosos,
professeur de philosophie
à l'université de Poitiers, spécialiste d'art paléolithique et de préhistoire, a déjà publié une vingtaine d’ouvrages.