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Raphaël HAROCHE


Avalanche


– Eh bien non, je ne crois pas, il n’y a rien en moi, rien, l’Alaska c’est ce qu’il y a en moi, l’Antarctique ! Ça commence ici, dis-je en montrant mon cœur, seul le dieu des Esquimaux pourrait peut-être bien quelque chose pour moi, et encore, il ne peut déjà rien pour eux, le dieu qui gagne toujours à la fin c’est celui qui est sur les billets de banque, c’est le seul qu’il faille craindre et puis merde allons manger, je crève de faim.

Léonard, le narrateur, a une gueule d’ange, 15 ans et le cœur déjà mort. Il a assisté à la mort de sa mère, les pensées qu’il nous livre sont cyniques, amères, violentes. Nicolas, 12 ans, son petit frère, est laid comme une gargouille mais habité par la grâce. L’oreille absolue, il joue merveilleusement du piano et communique avec les anges et sa mère. Tous les deux en manque d’amour « grave » comme se l’avouerait un ado honnête ou simplement lucide. Mais Léonard triche et Nicolas est dans sa bulle. Tous les deux attendent avidement l’apparition de leur mère, la venue de leur père, un miracle quoi.

Le roman commence quand ils quittent le giron de leur grand-mère, une vieille babouchka aimante, mal fagotée, qui parle un sabir incompréhensible, mélange de yiddish, de russe et de français, et dont Léonard a honte. Ils prennent le train pour entrer dans une école huppée, l’internat le plus prestigieux d’Europe ! Ils sont admis dans ce pensionnat pour riches grâce au talent pianistique du petit frère à la limite de l’autisme. Le père est loin, ingénieur à Kourou, il oublie ses enfants dans le travail.  En fait tous les parents des adolescents de l’Institut du Rocher payent très cher pour avoir le droit d’y oublier leurs enfants qui s’y éduquent comme ils peuvent, livrés à eux-mêmes, parfois tendrement, la plupart du temps cruellement.

Une étrange histoire d’initiation, à la limite du gothique, en tout cas très noire, où le narrateur, adolescent dostoïevskien, en proie aux outrances de son âge, déjà pétrifié par la mort de sa mère, continue l’apprentissage de la vie dans « les eaux glacées du calcul égoïste ». Et elle continue à ne pas l’épargner, la vie. Seule la main de son petit frère, quand elle cherche la sienne, peut encore l’émouvoir…

À travers les yeux et les pensées du narrateur on voit le monde comme il le voit, déjà mort, à l’agonie.
les marronniers de la cour du rocher semblent atteints d’une maladie, c’est même la région tout entière qui est frappée par une oxydation généralisée, les arbres se décharnent, s’assèchent, les feuilles deviennent vert-de-gris, rouillent, comme si un rêve de mort s’abattait sur tout le pays.  

À la fin, Léonard n’attend plus rien. Il a vieilli et est encore plus désabusé. Se laisser glisser, tout peut s’effacer, il suffit de mettre une couche de blanc, sans cela on ne survivrait ni à la honte, ni au chagrin, le monde est construit sur des crimes si nombreux que personne ne pourra jamais les réparer tout ce qu’il y a à faire, c’est glisser à sa surface.

Sylvie Lansade 
(15/02/23)    



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Gallimard

(Janvier 2023)
224 pages - 18,50 €





Raphaël Haroche,
auteur, compositeur et interprète, publie ici son troisième livre.


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