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Il faut y aller, maintenant se situe en France, à Paris, dans un contexte de coup d’état militaire d’extrême droite. Inès, la narratrice, se voit contrainte à l’exil car elle est menacée d’arrestation et probablement d’exécution. Elle est seulement coupable d’avoir aidé des migrants, des gens fragiles. Au moment du départ, elle revisite son existence et sa place dans l’Histoire. C’est un monologue qui, tout en s’adressant à Aida, avec qui elle va partir, ne lui laisse quasiment jamais la parole. Inès a plus de soixante-dix ans. Elle sait qu’elle ne reviendra pas de cet exil. Elle ne regrette ni ses biens, ni ses amis qui sont soit arrêtés soit exilés. Ce qu’elle regrette c’est d’abandonner ses morts, la terre où ses morts sont enterrés. Et aussi de mourir dans une terre étrangère. Le style de ce monologue traduit mieux que les mots les sentiments qui la traversent. Des phrases courtes, presque hachées, des répétitions comme des mantras. Inès est née en 1948. Et elle a hérité de la terrible culpabilité des crimes de la Seconde Guerre mondiale, particulièrement de la Shoah. C’est pour elle comme une obsession. Elle aurait voulu vivre avant cette période, comme son grand-oncle Paul, né en 1861 et mort en 1935. « C’est Paul T. que je veux être. […] Je ne veux pas avoir su ce qui allait se passer. […] je voudrais l’embrasser, il me rassure, je voudrais me blottir dans ses bras et oublier dans ses bras ce qu’il n’a pas su et ne saura jamais, ce grand-oncle que je n’ai pas connu et que j’envie, je veux être lui. Je veux être Paul T., s’il vous plaît, il est un joyau dans son ignorance, dans son innocence. » Inès nous raconte dans tous les détails ce que fut la vie de ce grand-oncle. Une vie faite d’épreuves, de tragédies mais aussi de douceur et de loyauté républicaine. Paul perd son père et ses deux frères brutalement. Ils se sont jetés, « les trois ensemble, dans le gouffre de Constantine pour laver la honte à la suite de mauvaises affaires. » Il perdra aussi son épouse brûlée vive alors qu’elle rencontrait son amant. « Il doit à la fois affronter l’adultère et la brutale disparition. » En 1917, une campagne de calomnie lancée par Léon Daudet, directeur du journal d’extrême droite l’Action française, vise Louis-Jean Malvy, ministre de l’Intérieur depuis 1914, homme de gauche, anticlérical, défenseur du tout nouvel impôt sur le revenu. Léon Daudet accuse Malvy de trahison. Face à la rébellion et aux mutineries, il lui faut un bouc émissaire pour en finir avec « l’esprit de défaitisme qui ronge la nation ». Malgré les souffrances endurées par Paul T., Inès aurait aimé vivre sa vie. « C’est ce qu’on appelle une vie accomplie. Une vie faite de joies et de misères, une bonne vie malgré tout, dans la croyance du progrès, dans l’amour de cette République encore récente, dans la joie des grands banquets, dans la ferveur du socialisme et de la laïcité, sans savoir qu’un jour ce sera l’apocalypse. » Dans ses précédents romans, Emmanuelle Heidsieck a alerté sur le démantèlement du modèle social de 1945 et l’importance de le protéger. Notre aimable clientèle pour les services publics, Il risque de pleuvoir pour la sécurité sociale et l’assurance maladie, Vacances d’été pour le code du travail. Ce cycle de romans s’achève avec Il faut y aller, maintenant qui aborde l’exil. Il s’achève parce qu’il n’y a plus rien à sauver, le néolibéralisme a été trop loin. Nadine Dutier |
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