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Raoul DE JONG


Jaguarman


Ce récit se présente comme une longue apostrophe à l’ancêtre de l’auteur, l’homme jaguar.

Raoul de Jong est journaliste et écrivain aux Pays-Bas. Sa mère est néerlandaise blanche et son père est surinamais. C’est à l’âge de vingt-huit ans qu’il est contacté par ce père qu’il ne connaissait pas. Quand son père évoque son ancêtre capable de se transformer en jaguar, Raoul est tout de suite fasciné et veut en savoir plus.  Bien que son père essaye de l’en dissuader en raison d’une soi-disant malédiction liée à ses origines, Raoul entreprend un voyage au Suriname. C’est une enquête qui va révéler l’histoire de ses ancêtres, liée bien sûr à l’histoire de l’esclavage. Mais cette enquête est semée d’embûches, de fausses pistes, de découragements et de révélations inattendues. Il rencontre une foule de personnages à travers des livres, des témoignages, des rencontres humaines et même des rêves. Tous ces personnages ont leur portrait magnifiquement peint à l’aquarelle au fil des pages, ce qui les rend plus vivants, plus présents.
Pour être digne de recevoir ces révélations, Raoul doit respecter un rituel winti – la version Surinamaise du vaudou. « Huit jours sans cigarettes, sans alcool, sans viande, sans sel et sans sexe. » S’y ajoute quelques bains purificateurs à base de plantes tropicales.  Les chapitres du récit de ce voyage initiatique sont découpés selon les huit jours prescrits par la vieille prêtresse winti.

Une fois au Suriname, Raoul aimerait se fondre dans la population locale de la même couleur de peau que lui mais son allure, ses vêtements, son accent « si dur et si prétentieux », son « sans-gêne » le signalent à tous comme venant des Pays Bas. Il faut commencer par changer de l’intérieur.

Grâce à des actes de naissance, il va remonter l’arbre généalogique de ses grands-parents. Il découvre un arrière-grand-père engagé chinois, débarqué à Paramaribo en 1866.
 
Ce qui le frappe le plus au Suriname, à part la chaleur tropicale moite, c’est la végétation qui s’infiltre partout « entre les maisons, sur les toits, devant, derrière, en dessous et le long des bâtiments. […] Une brise s’élevait parfois et tout se mettait alors à bouger, comme si le paysage entier s’éventait. »

Dans un pays constitué pour 90% de forêt tropicale, Raoul pressent qu’elle a joué un rôle déterminant dans son histoire. Il a l’occasion de partir en expédition avec une ONG de protection de la nature au cœur d’une zone riche en « fourmiliers, sangliers, singes hurleurs, perroquets et, oui, au moins un jaguar. » « Marcher dans la forêt revenait à danser : pencher la tête pour éviter une feuille de palmier, enjamber un arbre abattu, se courber sous une liane épaisse, sauter un fossé, rebrousser chemin devant un nid de guêpes. »

La chance (ou l’homme jaguar) lui permet de rencontrer un journaliste et une écrivaine qui ont mené des recherches sur leurs aïeux et sur l’histoire du pays. Ils l’encouragent à persévérer et à surmonter ses résistances.

  Avant d’être un pays, le Suriname était une entreprise offerte par le prince des Pays-Bas à la ville d’Amsterdam. Pour rentabiliser les terres, cette Société du Suriname, fondée en 1683, devait déforester et cultiver les plantes demandées en Europe : la canne à sucre, le café, le coton, le cacao. Elle espérait faire travailler les Indiens autochtones mais ils se sont défendus et ce sont les Noirs déportés d’Afrique par millions qui sont devenus les outils des maîtres, une fois réduits à l’esclavage.
En 1795, la Société transfère le Suriname à l’état néerlandais, le Suriname devient une colonie.
En 1863, le royaume des Pays-Bas abolit l’esclavage qui est devenu trop coûteux. Chaque maître est indemnisé pour sa « perte » de 300 florins par esclave. Près de 10 millions de florins au total, alors que les esclaves n’ont pas touché un centime. Mais tout ancien esclave était tenu de travailler pendant 10 ans pour son maître en contrepartie d’un « salaire équitable », pratique baptisée « tutelle publique ». Comme les anciens esclaves devenus « travailleurs libres » n’ont pas envie de continuer à s’échiner pour une misère, l’importation des ouvriers reprend : 74 000 personnes entre 1853 et 1937, des Chinois, des Hindoustanais venus des Indes britanniques et des Javanais venus des Indes néerlandaises.

Les esclaves Marrons, les insoumis, ont signé des traités de paix avec les autorités coloniales : la ville serait aux Néerlandais, la forêt aux Marrons. Initiés par les Indiens à la culture du manioc et aux plantes médicinales, ils ont pris soin de la forêt amazonienne. Ce mot vient de l’espagnol cimarrón qui signifie « animal domestique qui échappe à ses maîtres ».

L’auteur finira par comprendre que la malédiction n’est autre que la résistance et la fidélité aux religions et cultures africaines à travers la musique, la danse et les tissus. Pour lui c’est le langage des dieux qui est à l’origine de toutes les musiques des Amériques : rumba, cha-cha-cha, samba, bossa-nova, charleston, jazz, soûl, blues, pop, hip-hop et kaseko ou kawina au Suriname.

 « Au moment où le navire négrier prenait le large, certains passagers se transformaient en grands oiseaux ou en crocodiles et regagnaient le continent. C’étaient les membres des plus hautes sociétés magico-religieuses de leur pays. »
C’est ce mélange de pensée magique et de recherche historique qui fait de ce livre un objet unique, touffu et quasi impénétrable comme la forêt amazonienne.

Nadine Dutier 
(18/01/23)    



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Raoul de Jong, Jaguarman
Buchet-Chastel

(Janvier 2023)
228 pages - 22 €


Traduit du néerlandais
(Pays-Bas) par
Myriam BOUZID











Raoul de Jong
né à Rotterdam en 1984, est journaliste, écrivain
et scénariste.