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Marianne RÖTIG

La disparition des rêves



Voilà un roman bien étrange, qui tient du surréalisme.
Dès le prologue, le ton est donné ; la narratrice constatant qu’elle ne rêve plus porte plainte au commissariat pour Vol de rêves. Heure du délit : les deux nuits dernières.
La narratrice rêve avec allégresse, parvient à percevoir les transitions entre deux rêves, s’en souvient au réveil et commence sa journée par consigner les merveilles de la nuit.  Pour elle, les rêves structurent la vie. Les pires journées deviennent supportables quand elle imagine ce qu’elles produiront d’invention nocturne. Elle rêve même dans la journée et note les prédictions issues des événements dont elle doit tirer des articles, car Camille est journaliste. Elle est affectée aux reportages d’investigation. Ceux pour lesquels la lenteur est une qualité dont Camille ne manque pas, comme le rédacteur en chef le lui a diplomatiquement fait remarquer.

Quand un article est terminé elle repart pour un autre reportage, parfois choisi au hasard, en ouvrant le Bottin. Cette fois elle est attirée par l’encart publicitaire d’un accordeur, Archibald Maupertuis. Elle lui demande s’il accorde les personnes. À question étrange, réponse musicale « Y a-t-il beaucoup de dissonances ? » « À première vue, je dirais que c’est un problème d’amplitude. Peu d’aigus, peu de graves, mais surtout un souci pour passer des uns aux autres. »
La rencontre avec Archibald sera déterminante. Ils sont tous les deux admirateurs de Spinoza. Une complicité joyeuse les réunit.

Selon des informations confidentielles, un collègue de Camille apprend que l’absence d’activité onirique, accompagnée de troubles variés, se répand telle une véritable épidémie.
Camille va mener l’enquête auprès d’un laboratoire établi dans un phare à la pointe du Finistère, le Groupe de Recherche Interdisciplinaire Nocturne et Aquatique sur les Rêves. Ils étudient l’influence de l’eau sur les songes. Leur sujet d’étude est Andrea Marinelli, un poète napolitain hypermnésique capable de circuler dans les rêves des autres et de partager les siens. C’est ce que Benoît, l’océanologue directeur de l’équipe du laboratoire, appelle « le communisme des rêves ». Selon Benoît, nous rêvons ensemble.
Mais s’il accepte qu’une journaliste vienne enquêter dans leur laboratoire, gardé comme une forteresse, c’est parce que Andrea ne rêve plus depuis deux mois, ainsi que les sujets des autres laboratoires : Madrid, Bombay, New York, Rio et Vienne.  Et en même temps ces sujets perdent la santé, ainsi qu’une population plus large en dehors des centres d’étude, ce qui confirme les rumeurs.

Camille est autorisée à voir Andrea. « Je le vis à même le sol, le jeune homme était allongé, nu et blanc. Il avait les bras en croix. Sa peau avec une teinte anormale, une texture également, presque translucide, qui semblait tout à la fois appeler et se soustraire. »  Pour Camille, c’est un choc, elle n’imaginait pas qu’il était affaibli à ce point. Elle décide de le sortir de là. Bien qu’il ne parle quasiment plus, il dit qu’il est d’accord. Grâce à la complicité de plusieurs amies, une cavale s’organise. Il y a de très belles pages sur cette chaîne d’amitié et sur les paysages qui font écho à son passé et traduisent ses états d’âme. Elle fait aussi l’apprentissage de la lenteur avec Andrea. Par un procédé magique, en le fixant dans les yeux, Andrea l’entraîne à Naples, puis lui présente sa mère et ensuite l’entraîne le long du Danube jusqu’à Belgrade.  Elle y reconnaît le visage d’une vieille connaissance, Zorn. Elle comprend alors qu’elle doit le rejoindre à Belgrade.

La suite du roman est encore plus étrange. La folie de la pandémie fait écho à celle du Covid.
Un road trip nous emmène très loin, dans un monde sans écran, sans interférence, où les rêves reprennent leurs droits.

Nadine Dutier 
(20/03/23)    



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Lectures








Marianne  RÖTIG, La disparition des rêves
Gallimard

(Février 2023)
208 pages - 20 €













Marianne Rötig
après des études de philisophie, a travaillé à la clinique psychiatrique de La Borde et au Samu social de Paris. Elle anime des ateliers d’écriture pour la Maison de la Poésie. Après Cargo,
un récit de voyage sur un porte-conteneurs,
La disparition des rêves
est son premier roman.