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Albert-Edgar YERSIN

Je dessine et je m’obstine


Ce magnifique livre nous fait découvrir l’œuvre d’Albert-Edgar Yersin, grâce à une très riche iconographie. Les textes de Frédéric Pajak et de Sébastien Dizerens situent sa biographie et nous guident dans la compréhension de ses créations sans parler à la place de l’artiste.

Yersin était un graveur d’une minutie extraordinaire. « Il créait des mondes entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, entre le cosmos et les cellules microbiennes. »
Yersin a toujours dessiné : plume, mine de plomb, lavis, aquarelle, paysages, espaces imaginaires, insectes, flore.
« Il note d’un crayon léger, les rondeurs ou les brèches de la montagne, le feuillage des arbres, le moelleux des nuages, la sérénité d’un lac, la violence de l’avalanche. »
Chercheur infatigable, émerveillé communicatif, curieux insatiable, sa vie s’étale sur tout le XXe siècle. Il est influencé par les artistes de son temps, le romantisme allemand ou l’école du Danube.
Il passe son enfance à New York, puis au Chili de treize à dix-neuf ans. A vingt-trois ans il rejoint Paris. La crise de 1929 le contraint à gagner la Suisse. En 1935 il devient graveur de timbres poste et sa main s’entraîne au burin.
Il est aussi habile à représenter l’architecture d’une ville, croquer les passants, faire des portraits. Il explore l’art abstrait, ses psychic drawings, aborde le surréalisme à travers un monde étrange et fantaisiste. Il sculpte et taille talc, bois, os, pierre, ardoise. S’essaie au vitrail, à la tapisserie.
Yersin retourne régulièrement à Paris où il se lie d’amitié avec Albert Flocon avec qui il réalise une exposition Nature et méthode. Ils créent le groupe Graphies. Ce groupe met en avant le savoir-faire de l’artisan et honore sa maîtrise, quelle que soit son appartenance artistique ou son parti pris esthétique.
À partir de 1949, explosion de couleurs et de matières, comme un contre-pied des dessins minutieux destinés aux timbres.
En 1955, lors d’un voyage à Venise, une nouvelle écriture naît dans une série de dessins et gravures.
Son style se caractérise alors par un foisonnement de microstructures inspiré de la nature et de la biologie.
« Pulsation du visible à l’image d’une pulsation intérieure, une multitude de signes remplit la page. Ce nouvel art de la délicatesse, né dans la cité des Doges, marque le début de la manière dont Yersin va enregistrer les remous du visible, et mettre désormais son imaginaire foisonnant au service des structures les plus intimes. »
En 1958, il est nommé professeur à l’école des Beaux-arts de Lausanne. Il enseigne la technique du burin, encourage toutes les expériences. Son enthousiasme est communicatif. Il commence avec ses étudiants la lithographie puis la lithogravure.
En 1960, il réalise un jardin au cœur de Lausanne, qui fait penser à l’agrandissement d’un dessin ou d’une gravure. Il est au diapason de la vie végétale, c’est sa source d’inspiration. Les microstructures, signes graphiques répétés à l’infini prolifèrent dans son œuvre.
« J’entre dans un monde baroque, dans une folle chevauchée d’arbres, d’herbes, de feuilles. […] je voudrais m’enfoncer dans du trèfle, me coucher tout nu dans la forêt et sentir glisser les jeunes branches sur mon corps. »
En 1976, il voyage en Amazonie. À la luxuriance des forêts répond la fièvre créatrice de ses plume et crayon. Son art est un prolongement de la nature.
Il creuse sa dernière planche de cuivre à soixante dix-sept ans pour se consacrer au dessin. Il croque lisière des sapins, carré de forêt, colline, pic rocheux, glacier, coulée de neige.
Dans ces dessins délicats, ses microstructures donnent à ses montagnes de la densité, à ses coulées de neige, une épaisseur inquiétante. Ses encres d’Amazonie marient l’eau calme du fleuve et le végétal, ou bien les nuages qui naissent des arbres. Il y a dans ses œuvres à partir des années soixante un effet de matière qui donne au regardeur une irrésistible envie de toucher. On imagine parfois, « rêve vénitien » par exemple, des cartes de géographie dont chaque point révèlerait un détail topographique, parfois, un tissu fait de pierres précieuses qui scintillent « noyau », « feu intérieur ». Ses chevelures, animées de l’intérieur, semblent vivre par elles-mêmes.
Ses derniers dessins à la mine de plomb sont pour moi particulièrement émouvants : chaque arbre de son « étude d’arbres » de 1980 est un être à part entière, respire et s’épanouit à sa façon. Il y a dans ses dessins de son environnement montagneux un mélange d’humilité et d’assurance, de maitrise du trait dans un équilibre parfait.  Dans « colline » ou dans « forêt d’en haut » de 1979 la place laissée au blanc qui suggère la brume fait penser aux estampes japonaises. Dans « promenade avec les arbres » on se sent irrésistiblement pris par la main par Yersin pour suivre ce chemin imaginaire où les bosquets nous guident vers la montagne.
Ce livre nous prend aussi par la main pour découvrir cette œuvre d’une richesse inouïe.

Nadine Dutier 
(01/02/23)    



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Lectures







 Albert-Edgar YERSIN, Je dessine et je m’obstine
Les cahiers dessinés

(Janvier 2023)
208 pages - 39 €




Textes de
Frédéric Pajak
et
Sébastien Dizerens
















Albert-Edgar Yersin
(1905-1984)
Graveur, peintre, dessinateur et illustrateur suisse