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François BARBEROUSSE
(1900-1979)



Gusse





"Adieu la vie, adieu l'amour…" Rolande chantait toujours : il l'entendait aussi clairement que s'il avait été dans la pièce et il percevait aussi le bruit que faisaient les autres avec leur fourchette. Non, ça ne leur coupait point l'appétit ; ils n'arrêtaient pas de manger pour cela, pas une seconde. "Car nous sommes tous condamnés…" Ils ne perdaient pas une bouchée pour cela, les fumiers, les salauds…

La lâcheté de ceux de l'arrière, des "Va-t-en-guerre", des "Pousse au crime" qui précipite les soldats de 14-18 à la fois dans le désespoir et le massacre, que François Barberousse décrit ici, c'est la même lâcheté qui a empêché son livre d'être publié en 1939. Trop pacifiste, trop pessimiste, trop internationaliste, trop socialiste ! Se permettre, même dans une fiction, de trouver "écœurant" le discours d'inauguration d'un monument aux morts, de faire dire au héros du livre "Après tout, les Fritz sont de pauvres types comme nous… pas plus que nous autres ils sont cause de rien…" , de laisser entendre, par la bouche d'un ancien communard, autre figure importante du roman, que "ça l'a bien été fait exprès… fallait en faire tuer pour pouvoir tenir le restant" (en quelque sorte la guerre comme épuration d'une génération d'hommes devenue trop exigeante) c'est déjà subversif mais ça n'est pas tolérable en 1939 !

Il y a beaucoup de raisons de lire ce terrible roman. D'abord ce n'est pas un récit de plus sur la guerre de 14 mais plutôt un hommage rendu à une grande partie de ceux qui y ont laissé leur peau, tués à la guerre ou obligés, au retour, de se reconvertir : les paysans.

Ensuite par curiosité. Qu'est-ce que ce roman promis à la consécration de grands prix littéraires en 1939 et finalement publié 73 ans plus tard ? Enfin pour le tour de force de Barberousse : montrer l'horreur de cette guerre, sans jamais y suivre ses héros. A l'instar de la réflexion que se fait le père de Gusse, rien n'est raconté de ce qui se passe sur le front. "S'il eût été soldat, lui, il n'eût rien raconté… Il se disait qu'ils étaient mille fois plus misérables qu'il ne pouvait l'imaginer et qu'eux-mêmes ne pouvaient le dire."

Les soldats, on ne les voit donc jamais au front. On les découvre, en civils, très jeunes, pour la plupart paysans, soulevant les dernières gerbes de la moisson, le jour de la mobilisation. Puis on les voit revenir : morts ou déjà morts, hallucinés parce qu'ils ont vécu, détruits et ne comprenant plus le monde qui, à chaque permission, se transforme un peu plus… sans eux.

Le narrateur, c'est Claude, le fils de l'instituteur, le seul rescapé, qui revient en 1922, assister à la cérémonie de l'inauguration du monument aux morts : "vos chers disparus… sont tombés… GLORIEUSEMENT…" Et cela coulait… tiède, mou, écœurant. Je suis parti : je n'en pouvais plus." Il se souvient de sa classe, celle de l'armée et celle de l'enfance, des six copains assis, comme lui sur les mêmes bancs, à l'école communale, aujourd'hui sous terre. Alors, il raconte : Voilà, "chers disparus glorieusement tombés", vous êtes servis. Un à un vous êtes revenus dans votre pays. Derrière le mur s'étend la sapinière que vous connaissiez bien, au-delà il y a la plaine. La plaine des chaumes et des guérets, la même que vous avez fouillée du soc de vos charrues, celle où vous avez peiné et sué sous le grand soleil libre des moissons. Vous êtes chez vous… Mais la grande paix, on vous la refuse… On vous a collé au garde-à-vous des morts…

A travers la chronique de Sommerère, entre Sologne et Berry, au pays du Grand Meaulnes – Barberousse a eu madame Fournier comme institutrice –, non seulement on bénéficie du témoignage direct d'un fils de paysan dont le récit émaillé de patois peint avec précision les travaux et les jours de cette France d'avant-guerre, quasiment entièrement rurale, et nous la restitue, si proche et si émouvante dans ses derniers instants, mais on comprend mieux encore, que ce vingtième siècle qui débute en dévorant la force vive de ses nations, monstrueux Saturne infanticide, n'inaugure rien de bon et va poursuivre sa sinistre besogne, en accouchant, de tout ce sang versé, des idéologies les plus meurtrières de tous les temps…

"Voilà, pensait-il, une fournée enlevée… Mercredi, Léon prendra un train pareil à Lamotte, et Pierre également, à Aubigny. Jeudi, ce sera Omer. Et tous ces jours-ci, à toutes les heures, à chaque minute, dans toute la France, en Russie, en Autriche, en Allemagne, des villes, des chefs-lieux, des cantons, des bourgs mêmes desservis par une simple halte, des milliers et des milliers d'hommes partiront comme eux, laissant tout ce qui fait leur vie, abandonnant tout derrière eux, sans savoir où on les mène, sans savoir surtout s'ils reviendront…"

Sylvie Lansade 
(20/04/13)    





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Pour mémoire










Marivole

144 pages - 20 €







François Barberousse
fut un des auteurs phares de la collection NRF de Gallimard de 1935 à 1938. On lui promettait un brillant avenir. Contre toute attente, ce héros de la Résistance décida irrémédiablement de renoncer à l'écriture. Après le recueil de nouvelles Épis de glane édité par CPE au printemps 2012, le troisième roman de François Barberousse sort de l'oubli, 75 ans après son écriture.


Romans :
L'Homme sec
Gallimard, 1935

Les Jours aux volets clos
Gallimard, 1936

Gusse
(écrit en 1938)
Marivole, 2012

Nouvelles :
Épis de glane,
recueil écrit dans les années 1930,
CPE éditions, 2012










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