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Libretto
(Août 2019)
96 pages - 5,50 €

Nicolas BOKOV
(1945-2019)

La tête de Lénine

Faire du samizdat à Paris est bien plus commode et tranquille que dans le Moscou des années 1970. Mais l’audience, aussi, était alors bien différente, à faire rêver les écrivains occidentaux lorsqu’ils parlent « du plaisir d’écrire et d’être lus ». Adaptée au samizdat, cette formule pourrait être complétée par « la joie et le risque de voir leurs textes retapés à la machine par des lecteurs. […] Se moquer du Zeus de la mythologie du Parti communiste avait quelque chose de libérateur, selon la bonne vieille méthode qui consistait à repousser les limites de ce qui est permis (avec ses avantages et ses inconvénients). »

(Nicolas Bokov. Avant-propos du livre)


Le texte, la satire, est bien un samizdat sorti au début des années 70 dans l’URSS de Brejnev (publié en 1975 en France par Maurice Nadeau dans La Quinzaine Littéraire) et qui ébranla le régime soviétique.
Vania Tchmontanov, jeune pickpocket moscovite, trouve, par hasard, le moyen de s’introduire dans le mausolée de Lénine sur la place Rouge. « S’agenouillant auprès d’Illitch, Vania tira la scie chirurgicale. Précautionneusement, comme s’il maniait une bombe, il souleva la tête du Guide, et … elle lui resta dans les mains. Il la posa à côté de lui, puis, avec la fébrilité d’un chercheur d’or, il fourra sa main dans le trou béant laissé par la tête, et sentit sous ses doigts une matière grumeleuse. Il en sortit une poignée : c’était de la poudre de liège. – Qu’est-ce que ça veut dire… murmura-t-il abasourdi. Des larmes lui montèrent aux yeux. Tel un naufragé, il s’agrippa aux mains du cadavre, raides et froides comme du métal ; mais elles cédèrent à leur tour, et de la poudre de liège tomba des manches de la tunique. Une rage folle s’empara alors de Vania Tchmotanov. Il roulait des yeux hagards –Tout casser, tout détruire ! Lui faire ça, à lui ! »
Le vol de la tête est un séisme au bureau politique. Le secrétaire du Parti appelle des maréchaux pour défendre la capitale, mais chacun des maréchaux croyant que l’autre tente un coup d’état se font la guerre. Leurs armées détruites, ils continuent de se battre tous les deux, combat qui fait songer à un dessin des Désastres de la guerre de Goya.
On fait appel à un comédien, Krivokorytov, pour remplacer Lénine dans le sarcophage. « Krivokorytov travaillait à la sueur de son front. Le premier jour lui parut long, mais par la suite il s’accoutuma si bien qu’à la fin des visites, il fallait le réveiller. […] On eut la bonne idée de lui passer de la musique à la radio. […] On ne négligeait pas pour autant sa formation idéologique. « Aujourd’hui, lui chuchota un jour une voix pateline, je vais vous lire un texte intitulé : Il est inutile de croire en Dieu. »
Tous les hommes sont mortels, susurrait la voix dans les écouteurs, tous nous devrons mourir un jour. Mais pas tout à fait. L’homme se transforme en atomes et électrons, qui, eux, sont impérissables, comme sont immortelles la cause du prolétariat et sa dictature. L’Occident, au dernier degré de la décomposition, espère qu’elle va s’affaiblir ! déclara le conférencier d’un ton confidentiel. Mais cela n’arrivera jamais ! La dictature du prolétariat a été instaurée une fois pour toutes, et elle gagnera peu à peu l’univers tout entier. Bonne journée, Robert ! »
Et ainsi des aventures à propos de la tête de Lénine. L’auteur, Nicolas Bokov, va jusqu’à signer le livre du nom de Vsevolod Kotchetov, un écrivain officiel d’alors, membre du Parti communiste.

Ce samizdat est encore drôle malgré les inquiétudes de l’auteur dans l’avant-propos (sur le vieillissement du comique), peut-être rire jaune, mais rire… Il est une sorte de témoin d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, ceux qui n’ont pas connu l’URSS.

Michel Lansade 
(13/12/19)    




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Nicolas Bokov
(1945-2019)
est un écrivain d'origine russe qui a émigré en France en 1975.







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