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Blaise CENDRARS

(1887-1961)


Aventurier et poète

« De son propre aveu, il n’a pas exercé moins de trente-six métiers ; mais comme Balzac, il donne l’impression de les connaître tous. En faut-il quelques exemples ? Cendrars fut jongleur sur la scène d’un music-hall anglais à l’époque où Chaplin y faisait lui-même ses débuts : il fut marchand de perles et contrebandier ; il posséda une plantation en Amérique du Sud et y fit trois fois une fortune qu’il dissipa en moins de temps qu’il n’avait mis à l’acquérir. Mais lisez donc sa vie ! Elle est d’une richesse qui passe l’entendement. » En 1951, Henry Miller (1891-1980) connaît déjà les écrits de l’aventurier et poète. À travers un éloge daté du 28 juin 1951 et publié par Les Nouvelles littéraires (« Cendrars, mon maître », 5 janvier 1976, n° 2514), il raconte l’avoir reçu à son domicile parisien, au 18 de la Villa Seurat, visite impromptue intervenue peu après la parution en France de Tropique du Cancer (1934) : Blaise Cendrars (La Chaux-de-Fonds, 1er septembre 1887-Paris, 21 janvier 1961) a perçu, semble-t-il, dans ce roman autobiographique un certain nombre d’échos à sa propre démarche littéraire. « Il frappa un jour à ma porte et me tendit la main de l’amitié, se souvient le romancier américain. Je n’oublie pas non plus cette première critique éloquente et tendre, qui parut presque aussitôt dans "Orbes" sous la signature de Cendrars. » H. Miller place au plus haut « Moravagine » (1926) tout en confiant avoir éprouvé beaucoup de difficultés à en saisir toutes les subtilités à la lecture du texte original lu, au moment où il apprenait le français, à grand renfort de dictionnaire et en émigrant de bistrot en bistrot

Un portrait saisissant et véridique de l’écrivain
Cet ouvrage-là, « Moravagine », est sans doute son chef-d’œuvre si on accorde à « L’Or » (1925) la réussite du conteur et les meilleurs accessits à la « Prose du Transibérien » (1913), « Rhum » (1930), « L’Homme foudroyé » (1945), « La Main coupée » (1946) et « Bourlinguer » (1948). Pourquoi est-ce son chef-d’œuvre ? Parce qu’il offre le portrait le plus saisissant, le plus véridique de l’écrivain, du moins tel qu’il se voyait, maudit et idiot. Effrayante histoire dont le « héros » est un rejeton de la famille royale de Hongrie qui s’échappe d’un asile après avoir tué et éventré sa fiancée Rita ; jeune psychiatre fou, Raymond la Science, prend part à la fuite barbare et sanglante de son patient à travers les révolutions et les meurtres… B. Cendrars a rédigé ce roman entièrement de la main gauche, celle du côté du cœur, à la machine à écrire, en la trempant furieusement dans un verre d’eau quand il a frappé trop brutalement sur les touches. Il en a commencé l’histoire à l’époque où il écrivait des poèmes : il en composa 41 qui révèlent un langage nouveau si vanté par les historiens de la littérature. Il convient de retenir « Les Pâques », un ensemble de cent deux distiques rimés ou assonancés, regroupés en dix-sept séquences, un opus que l’apprenti envoya à son maître, Guillaume Apollinaire, et dont certains prétendent si son poème Zone ne doit pas beaucoup aux Pâques.
« Audacieux, il ne cultive pourtant pas l’audace littéraire pour elle-même, explique le critique littéraire Renaud Ego, mais seulement dans la mesure où elle accompagne ou suscite ses propres métamorphoses. Aux grandes laisses épiques des trois premiers poèmes ("Les Pâques", "La Prose du Transsibérien", et "Le Panama") succèdent les mystérieux "Poèmes élastiques", puis après la guerre "Les Sonnets dénaturés" riches de jeux typographiques, et surtout "Kodak", poème-collage réalisé à partir d’un roman-feuilleton de Gustave Le Rouge et d’un livre de Maurice Calmeyn, bien avant les tentatives similaires des poètes objectivistes américains, comme Charles Reznikoff ou Louis Zukovfski. » (À la première main du pluriel, revue La Pensée de midi, n° 8, été 2002).
« Le lecteur qui découvre Cendrars est frappé par la discontinuité manifeste de son œuvre, souligne Claude Leroy (professeur à l’université de Paris X-Nanterre) qui a dirigé la première édition critique des textes de l’écrivain. [Son œuvre] se divise en périodes déterminées par des coupures franches, pondérées toutefois par de fortes variations à l’intérieur de chaque série. À la période des poèmes (eux-mêmes bien différents les uns des autres) a succédé celle des romans (qui, de "L’Or" à "Moravagine", ne se ressemblent pas non plus), puis celle des reportages et des histoires vraies, et enfin celle des Mémoires. »

Il ne cesse de brouiller les pistes
Outre Apollinaire, ses autres maîtres spirituels sont Remy de Gourmont, Jules Verne, Gérard de Nerval, Nietzsche, Schopenhauer, Rilke, Knut Hamsun, Gogol, Dostoïevski. L’œuvre est abondante et remplirait un rayon entier de bibliothèque. Il a tâté de tous les genres, même de la publicité, de la peinture et de la musique (il rêvait un temps de devenir musicien). N’a-t-il pas poursuivi des études de musicologie, de médecine, de philosophie et de théologie ?
Souvent, dans ses récits, les faits sont masqués, les confidences biaisées, les personnages trompeurs, mais l’histoire ressemble curieusement à celle de Frédéric Louis Sauser (ses nom et prénoms véritables) même si le récitant se plaît à escamoter la chronologie de la réalité et de la fiction. Universitaire française originaire de Sibérie, Oxana Khlopina rappelle à bon escient que Cendrars ne cesse de brouiller les pistes : « Combien de fois déjà l’existence de personnages considérés jusque-là par les chercheurs comme purement imaginaires, symboliques, s’est finalement confirmée par la découverte de documents d’archives bien réels. »
« Ce n’est pas sa manière d’écrire qui [attire], si sa façon de vivre. Pas vraiment. C’est sa façon d’exister qui fascine, remarque O. Khlopina - « du monde entier et au cœur du monde »… Inspiration, respiration. Systole et diastole. Un rythme éternel… - C’est la belle réponse que m’a faite le poète Frédéric Jacques Temple [Montpellier, 1921], lorsque je lui demandais en quoi son ami Blaise Cendrars avait influencé son œuvre » (6 mai 2012).

Claude Darras 
(11/07/17)    
Cet article est extrait des Papiers collés N°22 de Claude Darras

  • Moravagine de Blaise Cendrars, par Oxana Khlopina, éditions Infolio, collection Le cippe - études littéraires, 128 pages, 2012 ;
  • Partir - Poèmes, romans, nouvelles, mémoires, par Blaise Cendrars, édition établie et présentée par Claude Leroy, Quarto/Gallimard,  1372 pages,  2011 ;
  • Poèmes, par B. Cendrars, édition de Camille Weil, illustrations de Donatien Mary, Gallimard/Folio Junior, 96 pages, 2013 ;
  • Mon voyage en Amérique, par B. Cendrars, avec les dessins de l’auteur, notices de Christine Le Quellec Cottier, Gallimard/L’Imaginaire, 128 pages, 2015 ;
  • La Main coupée et autres récits de guerre, par B. Cendrars, édition de Claude Leroy et Michèle Touret, avant-propos de Miriam Cendrars (fille de l’écrivain), éditions Denoël, 448 pages, 2013.



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