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José Corti
(Janvier 2021)
176 p - 18 €

Julien GRACQ
(1910-2007)

Nœuds de vie

Treize ans après sa disparition, les éditions José Corti ont eu l’excellente idée de consulter le fonds Julien Gracq au Département des manuscrits à la BNF et d’y découvrir des fragments de prose de l’auteur du Rivage des Syrtes, fragments publiés aujourd’hui sous le titre Nœuds de vie. Somptueux cadeau en ce début d’année offert aux lecteurs qui retrouveront, comme le dit justement Bernhild Boie dans son introduction : « Une écriture qui donne à voir, à sentir et à penser. Une prose poétique lumineuse qui en flânant le long des chemins et des routes fait surgir les paysages avec tout ce qu’ils comportent de présence immédiate, de souvenirs, d’histoires, de mythes et de contes de fées. »

      Dans ces Nœuds de vie nous retrouvons les thèmes chers à Julien Gracq et en premier lieu le thème des paysages. Chemins et rues nous conduit de la Sologne à la Bretagne, de Paris à Genève et sur les rives de la Loire à St-Florent-le-Vieil, village qui a vu naître l’auteur.  C’est un bonheur rare que d’accompagner un écrivain lisant le paysage que nous avons sous les yeux : avec des éléments de géologie, de toponymie, d’architecture, de lumières, de souvenirs, le paysage est transfiguré, prenant une beauté et un éclat insoupçonnés – et parfois aversion et tristesse. Ainsi, parlant de la partie nord de la Loire Atlantique : « Peu de campagnes me paraissent aussi exilées, aussi pauvres de vie. J’accepterais mal d’être contraint d’y vivre : ce que je sens de pathétique dans la vie du poète René-Guy Cadou tient en partie à ce qu’il a été enchaîné à ces lieux déshérités. » Dans un autre paysage, c’est la fulgurance presque surréaliste qui surgit des prairies verdoyantes : « Les vaches étalées partout dans les prairies, comme une lessive. » Ailleurs encore à St-Florent et parlant d’une épaisse porte de bois enchâssée entre de très hauts murs (comme il en existe dans presque tous les villages) : « Je suis passé devant des centaines de fois, jamais je n’ai vu la porte ouverte. Sur ce haut mur qui barre l’issue de la rue du Couvent, sur cette porte murée, flotte pour moi depuis ma petite enfance quelque chose de kafkaïen : c’est l’occlusion mystique de la propriété foncière qui trouve là sa quintessence. »

      Le chapitre Instants regroupe un ensemble de réflexions au jour le jour sur divers sujets d’actualité mais où la littérature n’est jamais bien loin : « Le clair de lune ressuscité sur les villes. Angers, par une nuit de pleine lune : la masse noire du château, les flèches noires de la cathédrale vue de la Doutre, les nuages au-dessus courant sur la lune enflammée, comme dans La Mort du loup, la Maine tapie, enténébrée, mais argentée et saliveuse à tous ses remous. »

     Dans les chapitres Lire et Écrire nous retrouvons toute la verve et l’humour parfois acerbe de l’auteur de La Littérature à l’estomac. « Le centenaire de la mort de Hugo fait pousser, comme il convient, les chrysanthèmes dans les écritoires des journalistes. »

     Ces Nœuds de vie, un livre qui nous rappelle opportunément que Julien Gracq est un grand écrivain, un écrivain qui a la littérature chevillée au corps. Une belle occasion de le découvrir ou de le redécouvrir.

Yves Dutier 
(14/01/21)    




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Pour mémoire










Julien Gracq
(1910-2007)
professeur d’histoire-géographie et écrivain,
a publié de nombreux ouvrages dont Le Rivages des Syrtes pour lequel il a refusé le prix Goncourt
en 1951.


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