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La Contre Allée
(Avril 2021)
256 p - 21 €

Luisa CARNÉS
(1905-1964)

Tea rooms
Femmes ouvrières



Madrid, années 1930. Matilde, une jeune femme de milieu pauvre trouve un emploi dans un salon de thé. Le chômage est si élevé que les patrons licencient sans état d’âme et payent des salaires de misère.
Il s’agit d’un roman reportage qui, à travers le regard de Matilde, dépeint la société responsable du destin tragique des employés ; Marta se prostitue après son licenciement, Laurita meurt d’une hémorragie après avoir pratiqué un avortement clandestin. Matilde, comme ses collègues sont les seules à ramener un salaire pour faire vivre les frères et sœurs et les parents malades.

Tel un huis clos, tout le récit est confiné dans l’espace du salon de thé sous le regard inquisiteur et méprisant de la responsable qui guette la moindre maladresse et qui deviendra la chambre d’écho des turbulences sociales : manifestations, grèves, répression, poids de la religion, personnifiée par l’une des employées qui « vit dans la terreur à cause des événements politiques du pays : l’expulsion des jésuites, la confiscation des biens des gens d’Église,  l’enseignement laïque dans les écoles… […] les hommes s’évertuent à défier la patience de Dieu. La fin du monde approche de façon certaine. Un autre cataclysme universel menace les hommes ; un nouveau déluge, ou quelque chose de semblable. » On assiste au cheminement de Matilde qui résume ainsi le dilemme : « se soumettre au mari ou au maître spoliateur. »

Un personnage, le glacier italien, porte la tragédie de la montée du fascisme en Italie car son fils après avoir fait des années de prison est abattu par les fascistes. La guerre menace mais les femmes les plus combatives s’y opposent ; « je vous dis qu’en ces moments terribles que nous traversons, nous, les ouvriers, c’est un crime d’avoir des enfants ; c’est un crime de jeter de nouveaux êtres dans le ruisseau et dans la misère. Mais il y a pire encore : la guerre. C’est ça la grande lutte à laquelle les femmes sont destinées : en finir avec la guerre. Je vous dis que l’enfant que je porte – elle frappe son ventre avec force – n’ira pas à la guerre. Mais il ne suffit pas de dire "il n’ira pas" : il faut s’en donner les moyens… »

Publié en 1934, ce pamphlet est incroyablement féministe. « Nous pensions aussi que notre seule mission dans la vie, c’était de chercher un mari, et depuis toutes petites on ne nous préparait pas à autre chose ; même si nous ne savions pas lire, ça n’avait pas d’importance : si nous savions nous faire belles, c’était suffisant. Mais aujourd’hui nous savons que les femmes ne sont pas seulement faites pour raccommoder des vieux habits, pour le lit ou pour se frapper la poitrine ; la femme vaut autant que l’homme pour la vie politique et sociale. »         

Leur conscience politique n’est pas en reste : le patron, « c’est l’ennemi qui parle, l’ennemi qu’on déteste et qu’on craint, et dont on ne peut se passer. Il parle de façon autoritaire et arrogante. Sûr d’être obéi. Sûr de la soumission absolue de "son" personnel. C’est lui qui détient la clé du ventre de chacun de ces êtres faibles et de celui de chaque gamin, de chaque femme inséparable de ces êtres d’infortune. C’est l’ennemi, qui parfois fait de la démagogie de circonstance : "le patron et l’ouvrier ne forment qu’un seul corps."  Il oublie que quand il mange, ça ne nourrit pas l’autre partie de son corps – l’ouvrier. »

Demeurée longtemps invisible, Luisa Carnés, journaliste et romancière engagée, a été censurée durant l’Espagne franquiste. Elle est contemporaine de Lorca, Rafael Alberti. Ce récit est tiré de son emploi dans un salon de thé. Elle a connu la misère, travaillant dès l’âge de 11 ans, ses différents emplois ont inspiré ses nouvelles et les personnages qu’elle décrit pleins de vérité.

Nadine Dutier 
(19/04/21)    




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Pour mémoire










Luisa Carnés
(1905-1964)
née dans une famille d’ouvriers, commence à travailler très tôt comme apprentie dans l’atelier de chapellerie que dirige une de ses tantes. Elle compense son manque d’instruction par une curiosité littéraire féroce et multiplie ses lectures, en particulier des auteurs russes. Son apprentissage littéraire est autodidacte et la conduit vers la littérature et le journalisme, jusqu’à devenir, selon la critique de l’époque, l’une des meilleures écrivaines des années 1930.
(Note de l’éditeur)




Traduction de l’espagnol
par
Michelle Ortuno








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(en espagnol)