La cloche de détresse, publié à Londres en 1963,
sera l'unique roman de Sylvia Plath. Celle-ci se donnait la mort un mois après
sa parution à l'âge de 30 ans. Ce livre est aujourd'hui considéré
comme un chef-d'uvre universel. L'ensemble des écrits de Sylvia
Plath vient d'être réédité en un Quarto Gallimard
où La cloche de détresse devient La cloche de verre.
A dix-neuf ans, Esther Greenwood, une étudiante américaine, gagne
ainsi que onze autres jeunes femmes un concours organisé
par un magazine de mode. La récompense consiste en un hébergement
à l'hôtel de luxe Amazone à New-York.
Pendant quatre semaines, les jeunes lauréates vont être adulées
comme de jeunes reines. Elles découvrent la liberté et cheminent
de galas en défilés de mode.
En toile de fond du roman, l'Amérique des années 1950 avec l'exécution
du couple Rosenberg.
A New-York, Esther ne s'intègre pas totalement au tourbillon des réjouissances.
Elle a tendance à ressasser son enfance et son adolescence d'étudiante.
Un sentiment d'isolement la déprime alors qu'elle regarde la rue depuis
sa chambre d'hôtel : "Ce n'était pas le silence du silence.
C'était mon propre silence."
Cahin-caha s'écoule le mois de récompense, avant le retour à
Boston chez sa mère (son père d'origine allemande est mort alors
qu'elle avait neuf ans).
Et là tout bascule.
Esther est engloutie dans un gouffre de solitude et d'impuissance. Sa perception
de la réalité se distord et le doute n'est plus permis, elle nous
raconte, lucide et claire, les affres d'une dépression qui s'achèvera
dans la cave de la maison de sa mère par un suicide raté, car
"une voix intérieure me conseillant l'idée que je pourrais
bien me tuer a germé dans mon cerveau."
Le reste suit. Elle est hospitalisée pour traitement psychiatrique et
va d'asile en asile.
Autour d'elle, gravitent moult personnages quelque part désolants.
Ainsi Buddy Willard, son flirt de deux ans. Apprenti médecin, il la convie
pour la séduire à le voir disséquer des cadavres à
l'hôpital. Un peu plus tard, en guise de demande en mariage, il lui déclare
que "ce qu'un homme cherche, c'est une épouse, ce que recherche
la femme c'est la sécurité illimitée."
A quoi ça tient le bonheur !
Elle croise sur sa route Doreen, également lauréate du concours
organisé par le magazine de mode et complètement déjantée
(Esther la retrouvera à l'asile). Elle rencontre Joan, une amie de Buddy,
déséquilibrée, qui finira par se pendre.
Il y a aussi le docteur Gordon, champion des électrochocs. Irwin le prof
de maths qui la dépucelle dans une interminable hémorragie. La
poétesse Philoména Guinéa, sa protectrice financière,
qui lui octroie une bourse. Sa mère dont elle est totalement coupée.
La plus belle source humaine d'espoir viendra du docteur Nolan qui saura
même si elle n'éliminera pas ses doutes l'accompagner jusqu'à
sa sortie de l'asile.
La cloche de détresse est le récit autobiographique
de Sylvia Plath.
Dans sa vie réelle, des ennuis de santé, des difficultés
financières, deux enfants en bas âge ont gêné son
écriture. Elle s'est toujours sentie menacée par cette cloche
de verre, contre laquelle elle se sera battue, qu'elle pensait maîtriser,
mais dont elle disait : "La cloche de verre avec ses déformations
étouffantes descendra un jour sur moi."
Elle pensait devenir professeur, écrire des recueils de poèmes
devenir rédactrice d'un magazine. Elle vivait au fond d'elle-même
le conflit entre le mode de vie d'une intellectuelle poète et celui d'une
femme bonne ménagère, présente pour les enfants et le mari,
cliché du bonheur à l'américaine.
Son unique roman possède les germes d'une haute dimension littéraire.
L'histoire d'Esther Greenwood Sylvia Plath transposée en fiction
est l'histoire d'une jeune femme obsédée par le suicide
et que l'écriture ne parviendra jamais à endiguer.
Esther voyait les années de sa vie jalonner une route comme des poteaux
télégraphiques, reliés les uns aux autres par des fils.
"J'en ai compté un, deux, trois
dix-neuf poteaux mais après
les fils dansaient dans le vide. Malgré tous mes efforts je ne voyais
pas de poteaux après le dix-neuvième."
Patrick Ottaviani
(13/10/12)