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La Baconnière

(Avril 2021)
222 pages - 20 €

Federigo TOZZI
(1883-1920)

Le Domaine

Sienne 1900.
Giacomo Selmi est un fermier prospère. Il possède des vignes et fait son vin, élève des vaches et des cochons, cultive du blé et fait les foins. Il emploie plusieurs familles d’ouvriers agricoles car tout se fait à bras d’homme. Bêtes et hommes dans la même souffrance. Il a épousé une deuxième femme quand la première mourut et il a une jeune maîtresse. C’est parce qu’il ne s’entend pas avec cette jeune femme que Remigio, le fils du maître, a quitté le domaine.
Quand Giacomo meurt suite à un accident, Remigio se retrouve hériter du Domaine alors qu’il n’a pas la moindre expérience ni du travail agricole ni de la façon de « mener les ouvriers ». Il multiplie les maladresses, suscitant de la haine ou du mépris. Il se retrouve ruiné tant par les procès qu’on lui intente que par la malchance et la méchanceté. Il est trop naïf pour déjouer les tours qu’on lui tend. Il ne voit pas non plus que Berto, l’un des ouvriers lui en veut à mort.

Au-delà de la cupidité des notaires et des avocats qui manipulent les personnages et font durer les procès, on assiste à de belles scènes naturalistes soigneusement décrites : celle de la fenaison et de la moisson, de la foire aux bestiaux, de l’enfournement du pain, de la mort du veau. Dans ces scènes, Tozzi prend soin de détailler avec finesse les sensations liées au travail agricole ; la soif, la sueur, la fatigue, les bruits, les gestes, le rythme du groupe.
« Dans un bel ensemble, avec un bruit semblable à une déchirure rapide, les faucilles scintillaient entre les quenouilles de blé. Elles heurtaient, parfois, une pierre, avec un bruit léger, amorti. Recourbées, elles s’insinuaient parmi les épis ; et les épis venaient frapper les visages ; de temps à autre, la tige s’ensanglantait après avoir occasionné une coupure ou une égratignure. Alors, sans ouvrir son poing plein de blé, le paysan y jetait un instant un regard ; puis, luisante, effilée, la faucille s’enfonçait encore. »      

A la fin du livre, comme un cadeau, le traducteur Philippe Di Meo nous donne son interprétation de ce récit, à l’éclairage de l’œuvre de Tozzi. Selon lui, le Domaine matérialise la société réduite à un seul espace. Remigio, « agneau parmi les loups » se trouve confronté à la férocité des lois sociales.
Il voit aussi une trace biographique dans le personnage de Remigio qu’il qualifie de « sans famille », comme Tozzi qui perdit sa mère à douze ans et eut des relations difficiles avec son père.

Dans la scène de la naissance du veau mort, il fait dire à l’un des ouvriers agricoles : « est-il possible qu’il soit mort alors qu’il était en train de naître ? » Di Meo y voit un thème de prédilection de l’auteur, « Toute vraie vie est véritablement absente, soustraite dès l’origine. » Selon lui, Remigio s’identifierait à la fois au petit veau et à la souffrance de sa mère. Une métaphore de son incapacité à vivre sa vie d’adulte. Pour compenser son chagrin, il se réfugie « vers une sorte de cachette, qu’il s’était dénichée sur la berge escarpée de la Tressa… un lit d’herbes où son corps avait désormais laissé son empreinte. » Est-ce une sorte de nid fœtal ou une manière de tomber d’avant la mort ?

Un drame social assorti d’un drame métaphysique, c’est une autre lecture de ce récit, un éclairage pertinent mais subjectif qui pourra se confronter aux interprétations de lecteurs moins avertis.
Longtemps ignoré, Tozzi a été encouragé par Pirandello et admiré par Calvino. Il est aussi poète, son recueil Les Bêtes est disponible en français ainsi que plusieurs autres ouvrages.

Nadine Dutier 
(29/04/21)    




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Pour mémoire










Federigo Tozzi
(1883-1920)
né à Sienne, est mort à Rome de la grippe espagnole à 37 ans. Son œuvre, occultée sous le fascisme, a été redécouverte dans les années soixante.




Traduction de l’italien,
notes et postface par
Philippe Di Meo








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