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Stefan ZWEIG



La confusion des sentiments



En 1927, paraît La confusion des sentiments, récit bref et fulgurant, au succès immédiat. Déjà célèbre, Stefan Zweig excelle avec talent dans tous les genres de la littérature, en particulier dans l’art de la nouvelle et du roman court.

Le narrateur de l’histoire est un vieux professeur. Au soir de sa vie, il se remémore la fascination qu’exerça à son égard son maître à l’université quelques quarante ans plus tôt.

Roland a alors dix-neuf ans. Après une vie dissolue, il intègre l’université d’une petite ville de province au cœur de l’Allemagne. Il loue une chambre dans la maison de son maître « adoré comme un génie d’un autre monde ».
Une passion de l’esprit unit les deux hommes. Le soir, après un repas pris en compagnie de la femme du professeur, le disciple, sous la dictée du maître, écrit un ouvrage inédit de philologie.
Cependant, le maître est parfois déconcertant de cruauté à l’égard de son étudiant et devient « ce bourreau à qui, malgré tout j’étais attaché avec amour, que je haïssais en l’aimant et que j’aimais en le haïssant. »
Et puis le professeur a pour habitude de disparaître mystérieusement. Lors d’une de ses absences, Roland devient l’amant de sa femme. A son retour, le maître confesse à son disciple un secret inavouable.

La qualité la plus importante du livre est la lecture d’un triangle œdipien entre le maître, sa femme et le disciple. La passion est là. Comme une lave sous-jacente. Confus, les sentiments s’entremêlent. Désir adultère, désir homosexuel. Cruauté, soumission, avec leurs corrélations psychologiques que sont la honte et la culpabilité. L’érotisme sous-tendu est d’un haut raffinement, tant on est à la fois dans le brûlant et le glacé, ce qui justifie la brièveté de ce récit.
Tout au long de cette nouvelle, le triangle œdipien bouillonne comme une marmite et contribue à alimenter l’histoire.

Freud a rendu hommage à ce texte où sont ficelés avec finesse les troubles de la passion.
Stefan Zweig, lui-même d’un tempérament secret, était volage et tourmenté. Avec ce livre, peut-être a-t-il introspecté au plus loin qui soit ses propres sentiments. Le lecteur est invité, quant à lui, à un climat de suspens et de tension.

Patrick Ottaviani 
(22/01/11)    



Extrait du roman :

Une seule fois, je fus sur le point de l’obliger à parler. Le matin, en apportant son texte à mon maître, je n’avais pu m’empêcher de lui raconter avec enthousiasme combien précisément ce passage (c’était le portrait de Marlowe) m’avait ému. Et, tout brûlant encore de mon exaltation, j’ajoutai avec admiration que personne ne serait capable de tracer un portait aussi magistral. Alors il pinça sa lèvre en se détournant brusquement ; il jeta la feuille sur la table et murmura avec dédain : « Ne dites pas de telles bêtises ! Que pouvez-vous entendre par magistral ? » Cette parole brutale (qui n’était sans doute qu’un masque vivement mis pour dissimuler une pudeur impatiente) suffit pour me gâter ma journée. L’après-midi, me trouvant pendant une heure seul avec sa femme, j’éclatai tout à coup en une sorte d’explosion hystérique et, lui prenant les mains, je m’écriai : « Dites-moi, pourquoi me hait-il tant ? Pourquoi me méprise-t-il ainsi ? Que lui ai-je fait ? Pourquoi chacune de mes paroles l’irrite-t-elle à ce point ? Que dois-je faire ? Aidez-moi. Pourquoi ne peut-il pas me souffrir ? Dites-le moi, je vous en supplie ! »
Alors, un œil perçant, étonné de cette explosion sauvage, me regarda. « Ne pas vous souffrir ? » Et en même temps un rire fit claquer ses dents, un rire qui jaillit comme une pointe si méchante et si acérée que, malgré moi, je reculai. « Ne pas vous souffrir ? » répéta-t-elle encore une fois, tout en regardant avec colère mes yeux hagards. Mais ensuite elle se pencha sur moi, ses regards devinrent peu à peu tendres, toujours plus tendres, ils exprimèrent presque de la compassion – et soudain elle me caressa (pour la première fois) les cheveux : « Vous êtes véritablement un enfant, un nigaud d’enfant qui ne remarque rien, ne voit rien et ne sait rien. Mais il vaut mieux qu’il en soit ainsi, sinon vous seriez encore plus inquiet. »


La confusion des Sentiments
Traduction : Olivier Bournac et Alzir Hella, éditions Stock.
Révisée par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, Livre de Poche, 2010.





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(1881-1942)














Film d'Etienne Perier (1979)
avec Michel Piccoli
et Pierre Malet


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