Votre dernière publication regroupe plusieurs textes dont des textes
mis en musique par Jean Ferrat ? Vous commencez le livre par un très bel
hommage à Jean Ferrat : Mon ami.
"Chevrotines et Folies douces" contient en effet de nombreux
textes que Jean Ferrat a mis en musique qu'il n'a pas eu le temps d'enregistrer
et dont nous possédions des copies. Il s'agit donc de musiques inédites
que son éditeur a déposées à la Sacem. J'en possède
des cassettes avec la voix de Jean que nous avons conservées précieusement.
Elles sont protégées par le Copyright des Productions Alléluia.
Ce livre contient également des poèmes mis en musique par d'autres
compositeurs comme James Ollivier, mais aussi des poèmes inédits
et quelques poèmes anciens aujourd'hui pratiquement introuvables.
Comment s'est passé l'envoi de vos chansons à Jean Ferrat
?
J'ai publié mes premiers poèmes dans La Tour de Feu et
Le Pont de l'Epée. Mais surtout dans Hara-Kiri et Charlie
Hebdo. Ma première plaquette de poèmes s'intitulait "Vers
boiteux pour un aveugle". Elle avait été remarquée
par Le Monde et Le Canard Enchaîné. C'est le critique
de cet hebdomadaire qui m'avait conseillé d'envoyer mon livre à
Jean Ferrat "parce qu'il avait le sens de l'humour
". Ma première
chanson s'intitulait "La Leçon buissonnière"
publiée par Hara-Kiri avec un beau dessin de Fred.
Comment est née votre amitié avec Jean Ferrat ?
J'étais un poète très solitaire et un peu "sulfureux",
ce qui m'a valu quelques ennuis. Le fait que Jean interprétait quelques-unes
de mes impertinences m'a rapproché de lui et nous sommes devenus peu
à peu des amis. D'où l'hommage que je lui ai rendu dans l'ouvrage
publié récemment par Le Bruit des autres
Avez-vous toujours écrit des chansons et de la poésie ?
J'ai commencé à écrire très jeune. J'avais été
recueilli à la fin de la guerre par une boîte à curés
traditionalistes qui m'en faisaient voir et j'écrivais en cachette mes
états d'âme
J'écrirai plus tard :
Moi si j'ai rompu le silence / C'est pour éviter l'asphyxie / Oui
je suis un cri défense / Un cri qu'on pousse à la folie/ Je ne
suis qu'un Cri !
Ma vengeance viendra quand Jean Ferrat en fera une très belle chanson.
Le texte sera proposé comme sujet de français au bac pro en 2012.
La publication de poésie est toujours compliquée. Comment
cela s'est-il passé pour vous ?
J'ai envoyé quelques poèmes à François Cavanna qui
venait de créer Hara-Kiri qui les publia dans les premiers numéros
de sa revue et un peu plus tard dans Charlie Hebdo puis j'ai rencontré
à Dijon un éditeur qui me publiait dans sa revue. Il me proposa
d'éditer à son compte, alors que les autres éditeurs me
demandaient des sous que je n'avais pas. Je pense qu'il avait le sens des affaires,
car il me réclama ensuite la moitié des droits de mes chansons.
Il me fit un procès qu'il perdit parce qu'il ne m'avait jamais payé
de droits d'auteur !
Trouvez-vous qu'il y a des différences entre l'écriture d'un
poème et l'écriture d'une chanson ?
Il me semble que la chanson exige davantage de travail, de précision
: qu'on ne puisse pas modifier un mot, que chaque mot soit à sa place.
Mais il y a des poèmes qui font d'excellentes chansons.
Quel est votre rapport au rythme, à la musique ?
Je n'ai pas appris la musique, et je chante faux : c'est le regret de ma vie,
j'aurais dû apprendre la musique et travailler ma voix. Par contre j'ai
le sens du rythme et en général les compositeurs me disent que
la musique "coule" facilement sur mes vers. Dans son livre "Bête
et méchant", François Cavanna écrit d'ailleurs
: "Guy Thomas, de sa province, nous envoyait des poèmes enragés
sur des rythmes de java vache".
Plusieurs chanteurs ont repris vos textes. Comment se passe la mise en musique
? Vous demandent-ils parfois de modifier certains rythmes de vos phrases ?
J'envoie mes poèmes au compositeur qui me renvoie le poème chanté,
mis en musique. La plupart du temps il n'y a pas de changement. Par contre il
arrive quelquefois qu'on me demande de raccourcir un texte, parce que j'ai tendance
à répéter la même idée, comme pour marteler
l'idée. C'est le compositeur qui a raison.
Est-ce que la mise en musique de certains de vos textes a ensuite modifié
votre façon d'écrire, le rythme que vous donnez à vos phrases,
l'agencement des mots ?
Oui, j'ai appris à être plus concis, mais je n'ai pas modifié
le rythme de mes phrases.
Comment est venue l'idée de créer un spectacle "Soirée
Canaille" pour présenter sur scène avec la chanteuse
Josette Jagot vos poèmes et vos chansons ?
C'est Léo Ferré qui a écrit il y a bien longtemps : "La
poésie est une clameur elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée
dans sa typographie n'est pas finie ; elle ne prend son sexe qu'avec la corde
vocale tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche
"
Je crois qu'il avait raison. Je m'en suis rendu compte plus encore en faisant
des lectures publiques. Le public se trompe rarement. Si vous essayez de lui
vendre un recueil de poèmes, il pense immédiatement aux récitations
qu'il a parfois mal digérées à l'école. Mais si
vous lui lisez intelligemment un beau texte, vous arrivez à le conquérir.
Et si vous avez un style, que certains de vos poèmes sont mis en musique
et que vous avez un bon interprète, vous pouvez monter un spectacle en
mélangeant poèmes et chansons. C'est ce qui m'est arrivé
avec "Soirée canaille" avec la complicité de
la chanteuse Josette Jagot et de ses musiciens.
Beaucoup de célébrités ont reconnu la qualité
de votre écriture, Jean Rostand, Léo Ferré, Cavanna, Georges
Brassens, Jean d'Ormesson
Quel rôle ont-ils joué pour vous
?
J'ai expliqué plus haut combien l'aide de Cavanna m'avait été
précieuse pour la parution de mes poèmes. Des autres j'ai reçu
surtout des encouragements qui m'ont été utiles parce que j'ai
toujours eu une tendance à douter de la valeur de mes écrits.
Votre écriture est très engagée, impertinente, sensuelle,
sans concession face aux institutions, aux injustices. Quel lien avez-vous avec
l'engagement politique et citoyen ?
Je n'ai jamais eu de véritables engagements avec les partis politiques
de gauche (à part pendant la guerre d'Algérie). Mais mes sympathies
politiques vont vers les partis d'extrême gauche et vers la fédération
anarchiste. Par contre j'ai toujours adhéré au mouvement syndical
et j'y ai milité régulièrement (avec des orages !)
Comment naît un poème ou une chanson ? Comment choisissez-vous
le thème de ce que vous allez écrire ?
Je suis surtout inspiré par mes coups de cur et mes coups de sang
; et l'idée peut me venir d'une réflexion entendue dans une conversation,
dans une émission de radio, je note une expression qui fait tilt, je
la note sur un petit morceau de papier, pour conserver l'étincelle qui
mettra le feu aux poudres. Mes oreilles me sont très utiles pour saisir
les expressions populaires voire argotiques. Elles m'aident souvent à
trouver "la chute".
Quelles sont vos influences littéraires ?
J'aime beaucoup bien sûr les grands classiques, avec une affection particulière
pour Villon, Rutebeuf, Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, mais aussi Corbière,
Laforgue, Rictus, Carco. J'ai une immense admiration pour Gaston Couté.
Plus près de nous j'aime beaucoup Apollinaire, Mac Orlan, Queneau
pour
ne parler que des poètes. Mais j'avoue que je lis très peu de
poètes d'aujourd'hui, ceux que je reçois ne sont pas toujours
bons. Dernièrement j'ai lu avec beaucoup d'intérêt Claude
Chanaud.
Avez-vous écrit des textes de commande ?
J'ai reçu souvent des commandes sur tel ou tel sujet, et je n'ai jamais
été foutu d'écrire quelque chose de convenable. Jean Ferrat
ne m'a jamais rien commandé, bien qu'il ait composé pour moi de
nombreuses musiques. Le seul texte qu'il ait souhaité est celui de "La
porte à droite" que je lui ai écrit et que nous avons
"ajusté" ensemble pour répondre à la situation
politique du moment. Mais c'est moi qui ai écrit et signé les
modifications. Jean était très respectueux de ses auteurs.
Quels sont vos projets ?
J'ai un grand projet d'album de textes pour enfants intitulé "Les
Petites impertinences" dont j'ai écrit tous les textes. Le compositeur
Daniel Coulon en a écrit déjà beaucoup de musiques. Nous
sommes à la recherche d'un ou de plusieurs bons interprètes. Nous
espérons aussi trouver de bons interprètes des chansons de Jean
qui viennent d'être déposées à la SACEM.
Dans l'immédiat nous allons donner deux grands concerts avec Josette
Jagot intitulés "Impertinences autour de Jean Ferrat"
: le 27 septembre à Toulouse et le 28 à Montgiscard. Ce spectacle
a déjà reçu un accueil chaleureux en Côte d'Or et
dans la région parisienne.
Nous avons également des projets de spectacles avec Jacky Feydi, l'excellent
interprète de Jean-Roger Caussimon.
J'espère aussi mener à bien le montage d'un nouveau spectacle
avec Josette Jagot.
Propos recueillis par Brigitte Aubonnet en août 2013