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Entretien avec
Sabine d'Halluin


Directrice artistique
de la compagnie
Les Toupies


Votre compagnie Les Toupies propose des spectacles à destination de personnes valides et en situation de handicap. Pour quelles raisons votre compagnie s'est-elle engagée dans cette démarche ?
C'est une longue histoire où se mêlent des motivations personnelles et artistiques. Ayant un frère en situation de handicap mental, j'ai souffert, enfant, d'avoir été séparée de lui et de n'avoir pas partagé plus de jeux avec lui. Plus tard, j'ai mené des ateliers avec des enfants "ordinaires" et, en parallèle, j'ai travaillé sept ans, pour "Les ateliers extraordinaires" une association de parents qui proposaient des ateliers artistiques aux enfants de l'IME Les Glycines à Saint-Germain-en-Laye. Peu à peu, ces espaces séparés, coupés, ces cloisonnements me sont apparus insupportables : les enfants ordinaires d'un côté, les enfants handicapés, chacun selon son handicap, d'un autre… et les vieux, les riches, les pauvres… Lorsque j'ai proposé aux artistes de la compagnie de prolonger l'aventure avec des espaces ouverts à tous avec diverses disciplines, ils ont répondu présent, comme une évidence. Le projet Chrysalide est né.

Quels types de spectacles présentez-vous ?
Il y a une série de spectacles de contes que je joue avec Didier Moreira, musicien comédien. Ces formes légères sont adaptables à des lieux très divers : écoles, bibliothèques, jardins ou salles de spectacles. 1,2,3… coucou !, destiné aux tout-petits, se joue dans les crèches par exemple. Tandis que Nos cœurs dans la balance s'adresse aux adultes.
Il y a aussi les spectacles joués par la troupe Les Mines de Rien. Cette troupe rassemble des comédiens valides et en situation de handicap depuis septembre 2008. Elle est issue du projet Chrysalide. Trois spectacles, créations collectives, ont été montés à ce jour : Au Fil du Mur, Rêves de comptoir et Passages. La troupe a un tel succès que nous avons ouvert un deuxième groupe de création : Les Têtes de l'Art, dirigé par Nicolas Mège. Leur spectacle de forme légère Les trois coups se joue en première partie des Mines de Rien.

Vous avez monté un spectacle de contes africains en français oral et en langue des signes. Comment est né ce projet ?
Angali galitra, contes d'Afrique noire, dans sa version bilingue, est né en novembre 2004. Ce spectacle existe dans une version "classique" depuis 1995 ! Il se trouve que ma sœur Romaine vivait à Paris à l'époque et que, interface de communication, elle avait beaucoup de contacts avec les personnes sourdes. Notre désir de rassembler dans une même salle un public "mixte" nous a amenés à créer une forme ou chacun, entendant ou sourd, puisse "trouver son compte". Plus tard, nous avons eu beaucoup de demandes, mais Romaine ayant déménagé je me suis tournée vers une comédienne sourde, ce qui a évidemment plus de sens.

Pourquoi des contes africains ?
C'est aussi une longue histoire !... J'ai toujours été très touchée par les contes. Ils ont nourri mon imaginaire, m'aident à grandir, à chercher, à me tourner vers les autres. Si, en Occident, l'écriture a, d'une certaine manière, figé la tradition orale des contes, en Afrique, les contes sont présents à tous les niveaux de la transmission. Ils s'adressent aux adultes autant qu'aux enfants et revêtent des formes très diverses.
Je suis née à Madagascar et tout naturellement, je me suis tournée vers les traditions africaines, comme le saumon retourne à la source. Mais je me suis arrêtée souvent en chemin, en Afrique de l'Ouest, grâce à Hamadou Ampâté Bâ entre autres.

Les avez-vous adaptés ?
Oui et non. Quand un conte me touche ou m'interroge, je passe tout un temps à le "digérer", je me le raconte toute seule, je l'incorpore passant par toutes les phases et tous les personnages. Puis peu à peu il ressort : je le raconte autour de moi, je l'enrichis des images qui me sont venues, des dialogues…Il se "déploie" et quelques lignes dans un livre peuvent durer une demi-heure ! Quand nous passons au plateau, je travaille avec Didier Moreira qui apporte son regard, l'ambiance musicale et les chants. Je respecte toujours la structure d'origine même si les mots et les images peuvent changer.

Ecrivez-vous vous-même certains textes ?
Dans ce spectacle, modulable selon les publics, il n'y a que des contes traditionnels. Après la phase "d'incorporation" et d'improvisation, certains mots ou expressions s'imposent et le texte s'écrit ainsi. Mais je me garde toujours la possibilité de le changer au contact du public. Nous sommes dans du spectacle vivant.
Par contre j'ai écrit d'autres contes comme Pas de Noël cette année ? qui est devenu un de nos spectacles favoris.

Comment s'est coordonné le travail entre vous et Christelle Papin qui est une personne sourde qui pratique la LSF ?
J'ai transmis à Christelle les textes des contes mais surtout, j'ai passé beaucoup de temps à lui raconter en direct les histoires. Comme ma manière de raconter est très expressive et gestuelle, elle a rapidement pris le relais. Elle a élaboré seule la partie LSF et nous avons travaillé à théâtraliser son expression : engager tout le corps, danser la langue, investir émotionnellement les histoires. Celles-ci induisent elles mêmes des formes spécifiques : par exemple, tel conte est plus intime, plus dense, nous cherchons à centrer l'attention alors nous serons dans une économie du corps avec des gestes très dessinés. Tel conte donne dans le grotesque, le corps va suivre et nous jouerons tous les trois, Didier entrant dans la danse.

Connaissez-vous la langue des signes ? Comment communiquez-vous ensemble ?
Non, je ne connais pas la Langue des Signes même si, à force, je "pige" certains signes. Christelle lit très bien sur les lèvres et elle oralise aussi, les personnes de sa famille sont entendantes et elle a toujours baigné dans un milieu mixte. Cela aide énormément. Quand ça "bloque" trop, nous utilisons l'écrit. Parfois, nous devons nous y reprendre à plusieurs fois pour nous comprendre. Ce type de communication a des limites bien sûr. Le jour où nous sommes allés à la radio Vivre FM et qu'une traductrice était présente, nous avons pu échanger de manière plus précise.

Quelles différences et quelles proximités percevez-vous entre les deux langues ?
Je ne suis pas spécialiste de la LSF et je ne voudrais pas dire de bêtises… Mais ce que je pressens est que la LSF est très proche d'une langue à tradition orale (d'ailleurs, elle ne s'écrit pas), elle est imagée, synthétique, presque "idéographique" comme le chinois. D'un seul "geste" de tout le corps, toute une phrase est exprimée dans ses nuances tandis qu'il faut beaucoup de mots pour dire la même chose… Il me semble aussi que les émotions sont plus présentes.
Dans le travail avec Christelle, nous avons fait un travail de transposition, d'équivalences entre les mouvements et les nuances de ma voix et ceux de son corps. Parfois nous avançons "en parallèle" chacune menant le récit de manière indépendante et nous nous retrouvons à des moments convenus. Parfois, c'est Christelle qui mène le récit et je la suis. Pour d'autres contes enfin, c'est elle qui se "cale" sur moi. En clair, cela nous demande beaucoup d'écoute et de confiance mutuelle. L'effort soutenu pour nous comprendre dans nos langues différentes crée un espace d'attention élargie entre nous.

Vous avez présenté ce spectacle de nombreuses fois. A-t-il évolué au fil du temps ?
Le spectacle en lui-même n'a pas tellement évolué car il "fonctionne" bien depuis le début. Par contre ce qui change c'est le rapport au public. A chaque fois c'est différent.

Vous engagez le dialogue après le spectacle. Quelles sont les différentes réactions que vous avez eues ?
Il y a toujours des jeunes enfants qui ne comprennent pas pourquoi Christelle ne "parle pas". Alors nous leur expliquons ce qu'est la Langue des Signes. Cela montre que les enfants sont peu ou pas en contact avec des personnes qui signent.
Sinon, le public entendant est toujours très enthousiaste et fasciné de découvrir la LSF de cette manière. Ils ont l'impression de la comprendre grâce à la voix et ils cherchent à repérer des signes. Ce qui nous fait plaisir est de voir que sourds ou entendants apprécient le spectacle en tant que tel et les interactions entre nous.

Vous avez travaillé avec des personnes présentant différents types de handicaps. Comment réagissent ces différents publics ?
En tant que public, ils adorent !
Dans les ateliers que nous menons (nous sommes une dizaine d'intervenants artistiques dans la Compagnie Les Toupies) nous accueillons beaucoup de personnes avec handicap mental et/ou sensoriel. Tous ont une grande soif de prendre la parole, d'être reconnu sur scène…Cela demande à chacun beaucoup d'exigence, de travail et de persévérance mais la légèreté et l'humour sont au rendez-vous. C'est toujours un plaisir de se retrouver !

Quels sont vos projets ?
Continuer à jouer ce spectacle et le diffuser largement. Toutes les opportunités sont bonnes !
Nous jouons aussi en ce moment Passages des Mines de Rien et organisons des rencontres avec des collégiens, des jeunes d'institutions. L'aventure continue !

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet
Mise en ligne : novembre 2013


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Site de la Compagnie :
www.compagnie
lestoupies.org























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