Retour à l'accueil du site |
Trahisons Le théâtre de Harold Pinter se nourrit d’univers singuliers, comiques et effrayants, où les êtres s’emberlificotent dans l’obscurité de leurs malentendus. Trahisons, à l’affiche au Théâtre du Lucernaire, avec une mise en scène habile et bien réglée de Christophe Gand, n’échappe pas à la règle. Sur le papier, Jerry et Robert, partenaires de squash, sont les meilleurs amis du monde. L’un est agent littéraire, l’autre éditeur. L’un a fait Cambridge, l’autre Oxford. Robert est marié à Emma, une galeriste reconnue. Mais voilà que celle-ci, en catastrophe, téléphone à Jerry son ancien amant. Les « ex » se retrouvent dans un bar, deux ans après leur séparation. La jeune femme confie à Jerry, qu’elle et Robert se séparent et qu’ils ont parlé de leur ancienne relation. Le lendemain de la confidence, Jerry rencontre Robert, « désolé » d’avoir été l’amant d’Emma. Mais il y déjà belle lurette que Robert était au courant de la liaison qu’il entretenait avec sa femme. Un jour, alors qu’ils partaient en vacances en Italie, Robert était tombé, par hasard, sur une lettre qu’adressait Jerry à Emma depuis New-York. Celle-ci, à l’époque avait tout avoué à son mari, trahissant ainsi son amant ; Robert, par le non-dit, trahissant son ami. À partir de cette introduction, decrescendo, on remonte le temps à travers neuf tableaux qui s’échelonnent de 1977 à 1968. Avec ce principe à rebours, on découvre, comme à travers un microscope, une histoire d’adultère nourrie de mensonges et de cruautés par le biais d’un dialogue savoureusement banal, mâtiné de sous-entendus ou de malentendus. Le trio n’hésite pas, dès que l’occasion se présente, à humilier cyniquement tel ou telle. En redescendant le temps donc, une histoire angoissante se précise jusqu’à une chute étonnante où Jerry était le témoin du mariage de Robert et d’Emma. Encore une fois, au théâtre, le texte est le centre de gravité de la pièce avec tout ce qu’il sous-tend, et les comédiens sont des passeurs, chargés par le jeu des mots, l’écho de leurs voix et leurs attitudes scéniques, de nous le faire partager. Ainsi en est-il de Gaëlle Billaut-Danno, François Feroleto et Yannick Laurent (parfait dans l’alternative ami et amant) qui font un sans-faute avec une élocution précise, tranchée et sans détours. De bout en bout, le chassé-croisé de leurs paroles, nourries de secrets et de trahisons, décochées comme des armes, se télescope et se contredit dans le plus pur style pinterien. Les comédiens semblent par instants hébétés de leurs sorties verbales. Comme s’ils ne s’y attendaient pas. Y échappaient. Un peu comme s’ils camouflaient leurs émotions et leurs sentiments larvés, moteur de leur âme. La scénographie est originale avec des décors qui se modifient au gré des tableaux avec l’intervention précise de Vincent Arfa. Un lit devient un meuble et vice-versa ; une table, un bar. Christophe Gond a trouvé la bonne tension dramatique pour rendre palpitantes et éclairantes, les forces sibyllines dont les protagonistes sont souvent les complices. La pièce a été créée en 1978 au Royal National Theater de Londres dans une mise en scène de Peter Hall. Elle n’est pas sans rapport avec la liaison qu’entretint Harold Pinter avec une journaliste dans les années 60. Patrick Ottaviani |
Sommaire Une loge pour le strapontin Théâtre du Lucernaire 53, rue N.-D. des Champs 75006 PARIS Location : 01 45 44 57 34 Mise en scène Christophe Gand Traduction Avec Scénographie Décor Costumes Lumières |
||||||