Mademoiselle Palmer
Écriture, mise en scène et interptétation : Laura Lutard
Accompagnement au piano : Cécile Evrot ou Clémence Seignolles
Juste avant de partir, Mademoiselle Palmer n’a plus qu’à mettre ses livres et ses écrits dans des cartons.
Partir, changer de lieu c’est aussi se poser des questions sur sa vie, se rappeler tous les évènements importants.
Mademoiselle Palmer est née en Martinique d’un père blanc et d’une mère noire. Métisse au teint clair, elle se situe déjà dans un entre-deux. Sa mère va mourir d’un cancer et elle sera envoyée dans un internat en métropole. Elle perdra ainsi tous les repères de sa maison d’enfance.
L’internat catholique où elle vit désormais est un lieu imprégné par la peur de tout. L’objectif de Mademoiselle Palmer est de quitter cet environnement car son but ultime est justement de ne pas vivre dans la peur. Elle réussira à se sauver et pour vivre fera des ménages et deviendra modèle pour un peintre qu’elle a connu, Place du Tertre à Paris, en lui présentant les dessins de sa mère qui était très douée.
« Je devins donc modèle : Être nue : être payée pour l’être / Attendre que les regards se posent, analysent et jugent / Être nue : est-ce faire naître un monde ? / La peau exposée dans sa nudité n’est pas un don / Être nue : un travail, une recherche, une servitude / Accepter d’être belle, grande et mystérieuse. »
Nous suivons donc le parcours de cette femme qui ensuite voyage dans plusieurs lieux : l’Ile de Malte et l’Ile de Gozo, Bangkok, Paris, les Pouilles en Italie, Prague…
Le récit est très émouvant et prenant. La mise en scène sobre met parfaitement le texte en valeur en alternant le récit avec de la musique, une musicienne est sur scène avec son piano, des poèmes, des chants. Beaucoup de références à des écrivains émaillent le spectacle : Beaudelaire, Hannah Arendt… La poésie joue un rôle important « c’est un tourbillon qui interpelle l’essentiel. »
« Oui quitte-moi / Ma structure s’évapore / Place aux os nouveaux / Sourire vierge et sans entraves / Que meurent tes caresses / Ma peau se nourrit d’elle-même / Feuilles de chêne, écailles, carapace / Mes racines grouillent dans le fertile / Désherbent la mémoire. »
Différentes problématiques sont évoquées : le drame des migrants, les enfants réunionnais qui ont été déplacés en métropole pour repeupler la Creuse…
La comédienne incarne à merveille ses écrits personnels et son parcours qui deviennent universels dans les questionnements qu’elle aborde.
C’est un spectacle aux multiples facettes qui nous plonge dans les méandres d’une vie pleine de recherches sur le monde, ses plaisirs, ses libertés, ses doutes, ses malheurs mais surtout son indépendance sans peurs.
Le texte de la pièce écrit par Laura Lutard est publié aux Éditions Yakshi sous le titre Mademoiselle Palmer : Épopée ordinaire suivi de Pensée politique et vagabonde en prose.
Discours d’investiture de la Présidente des États-Unis
Texte de Roger Lombardot
Interprète : Claudine Guittet
Mise en scène : Chantal Péninon
Une femme en peignoir prend son petit déjeuner mais ce n’est pas n’importe quelle femme, ni n’importe quel jour pour elle. En effet, elle prépare le discours pour son investiture en tant que Présidente des États Unis.
Enfant, elle a vu avec son grand-père The kid avec Charlie Chaplin, film qui l’a beaucoup marquée car les regards étaient particulièrement expressifs. « Le parlant nous a volé les regards. »
Son discours va durer une heure devant mille personnes, ce qui correspond à mille heures. Il est essentiel pour elle que ce discours joue un rôle important pour chaque personne qui l’écoute. « Les artistes dilatent le cœur et me poussent à grandir. J’attends aussi des politiques qu’ils me grandissent. »
Comme ses parents travaillaient beaucoup, elle allait souvent chez Jim et Margareta, ses voisins. Jim racontait des histoires et parlait beaucoup de l’histoire du XXème siècle et notamment de sa participation à la Première Guerre mondiale où il a vu mourir son copain John à Verdun.
Jim associe la musique à l’histoire pour en « percevoir les pulsations car les livres d’histoire ne donnent que des dates historiques et parlent bien rarement des humains et de la monstruosité des guerres qui fédèrent les haines comme a pu le faire Hitler. »
Le discours insiste sur le fait que la recette de la guerre consiste en l’association de la peur, de la misère et du ressentiment.
« La guerre exerce une telle fascination… On la désire autant qu’on la redoute. Et puis on a tellement entendu raconter qu’elle est inhérente à la nature humaine qu’on a fini par l’admettre. Quelle mystification ! »
Toutes les guerres ont échoué, la guerre ne peut pas être un modèle.
Margareta, elle, véritable esprit libre, lui a transmis son amour de la vie. « Lorsque dans ton cœur tout ira mal, tourne-toi vers le monde. »
Les femmes en politique singent souvent les hommes et pour la future présidente les femmes doivent ouvrir de nouveaux horizons. Trop de politiques sont seulement attirés par le pouvoir.
Et pour terminer son discours, elle revient à Charlot qui clame, à la fin du film Le dictateur, l’amour et non pas la haine pour créer le bonheur.
« Vous avez le pouvoir de créer le bonheur, d’embellir la vie, d’en faire une merveilleuse aventure. »
Claudine Guittet incarne avec force son discours pour nous convaincre de la nécessité de lutter contre la guerre et de ne pas perdre de vue l’humain.
Concernant la mise en scène, Chantal Péninon confie : « Nous avons choisi de situer cette femme chez elle, dans son quotidien, pour faire ressortir ce qui, dans le texte, nous dit qu’elle est "comme nous". »
68 Mon amour
Texte de Roger Lombardot
Interprète : Ludovic Salvador
Mise en scène : Chantal Péninon
« Roger Lombardot a vécu 68. Pleinement. Pour lui, ce fut une révolution, une re-naissance. Il a rencontré sa femme à ce moment-là, la femme de sa vie. Il a quitté le gris de son enfance, il a abandonné (à lui-même…) le monde formaté du travail. Et il est parti aimer et vivre en Ardèche, comme beaucoup d’autres dans ces années-là. Pas pour élever des chèvres, mais pour cultiver des mots. »
Cette pièce est le cri de ce monde de 68 qui se révolte. Le narrateur a une mère ouvrière et un père qui est mort à l’usine. Le travail à l’usine est, pour lui, une double mort, celle de la semaine avec un travail déshumanisant puis dans la maison de Dieu le dimanche un autre travail à la chaine : s’agenouiller, se lever, s’asseoir, se lever… De plus, c’est une religion de la mort autour du cadavre de Jésus. Gagner sa vie pour se nourrir est une épreuve car le travail est avilissant et peut être mortel comme pour son père qui est mort le jour de ses 14 ans.
Pour Roger Lombardot, 68 fut une nouvelle naissance dans une société de l’illusion qui menait vers une impasse. Avant 68, c’était une soumission à un ordre aveugle. L’illusion existait du "plus jamais ça" après la guerre où les nazis ont voulu réduire des humains à des bêtes et ont ouvert une boîte de Pandore et ainsi libéré la haine en exterminant des êtres humains à la chaîne.
Comment entrer en relation avec le monde ?
L’auteur donne sa démission et se sent devenir un homme. Elargir sa vision du monde en partant sur les routes sera pour sa mère une déception, elle qui s’est épuisée au travail pour lui payer ses études. Lui coupe le cordon qui est comme une corde de pendu. Il refuse de participer à la société de consommation.
« Qu’une nouvelle génération se lève pour accéder enfin à la vie. »
Des échos existent avec Le discours d’investiture de la Présidente des États-Unis pour dénoncer la guerre, ses atrocités, l’inhumanité du monde… mais aussi pour donner place à la beauté, la joie et à la préservation de l’intégrité du monde.
Ce sont des thèmes toujours d’actualité et essentiels :
« 68 Mon Amour est aussi une pièce très ancrée dans la réalité de notre société contemporaine, aussi écrasante pour l’homme, aussi destructrice – si ce n’est plus – que celle d’avant les "évènements". Mai 68 devient alors une référence, un repère qui met en valeur les carences de notre société sur les plans politique, humaniste, écologique. »
« Chantal Péninon a voulu une mise en scène invisible. Prenant toute sa place de "passeur", le comédien accueille le public, met en route l’éclairage sur la chaise posée au centre de la scène, va s’y asseoir et commence à lire le texte. »
Lettres à Anne
À partir des lettres de François Mitterrand
Interprète : Nathalie Savalli
Mise en scène : Frédéric Fage
« François a 46 ans quand il rencontre Anne, 19 ans, lors de vacances à Hossegor. Leur passion débute quand Anne monte à Paris pour ses études. De 1962 à 1995, il n’aura de cesse d’écrire à celle qu’il surnommera son "Animour", Anne. »
La pièce commence par un monologue de Nathalie Savalli qui donne voix à Anne Pingeot. Celle-ci exprime ses doutes, doit-elle publier ou non les lettres qu’elle a reçues de François Mitterrand, doit-elle les garder pour elle, les détruire comme a pu le faire Catherine Pozzi qui a demandé à ce que les lettres de Paul Valéry soient brûlées à sa mort. Il est facile de garder, il est plus dur de jeter.
La comédienne est bouleversante pour introduire cette pièce, sa voix emplie de fragilité, de douceur, de doutes traduit parfaitement les sentiments qu’Anne Pingeot a dû éprouver face à cette décision particulièrement compliquée car elle devait savoir que beaucoup pourraient la critiquer, l’attaquer.
Elle a vu François Mitterrand la première fois lorsqu’elle avait 14 ans. Durant leur relation passionnelle, Anne a tenté de quitter François Mitterrand à plusieurs reprises mais c’était un personnage si fascinant…
Nathalie Savalli vient s’asseoir sur une chaise, sur le devant de la scène, pour lire les lettres. François Mitterrand exprime tout son amour à Anne, lui donne des rendez-vous alors qu’il jongle avec son emploi du temps notamment sur la période de la présidence. Les évènements historiques jalonnent aussi cette correspondance comme par exemple la lettre écrite le 23 novembre 1963, jour de la mort de John Kennedy. Les évènements du monde s’enchaînent au fil des années qui passent et consolident leur amour mais les lettres expriment aussi le désespoir de François Mitterrand quand il ne reçoit pas de réponses d’Anne.
En alternance avec la lecture des lettres, la comédienne donne le point de vue d’Anne Pingeot. Nous entendons aussi une voix off qui incarne celle de François Mitterrand, un absent qui imprègne encore le monde des vivants comme il l’avait souhaité lors de la dernière cérémonie des vœux au peuple français qui est projetée lors du spectacle. Nous visionnons aussi la vidéo d’un discours de François Mitterrand devant le Parlement européen où il affirme que le nationalisme c’est la guerre. Les photos, les vidéos, les écrits retracent son parcours politique et privé avec en particulier la naissance de Mazarine Pingeot.
Une intense émotion se dégage de cette pièce portée merveilleusement par Nathalie Savalli qui donne vie à Anne Pingeot et François Mitterrand.
C’est un grand moment de théâtre.
Moi, Bernard
Adaptation inédite de la correspondance de Bernard-Marie Koltès
Conception et interprète : Jean de Pange
Mise en scène : Laurent Frattale
Jean de Pange incarne parfaitement la personnalité complexe de Bernard-Marie Koltès (1948-1989) en déroulant son parcours de créateur à travers des lectures de sa correspondance, des extraits d’entretiens, des vidéos, des textes qui défilent sur un écran, de la musique…
Le spectacle est très bien construit, avec des changements de rythme très justes, pour évoquer les doutes, les recherches, l’exaltation, le découragement, les échecs, les réussites mais surtout la très grande solitude d’un créateur. « Jouer devant dix ou quinze personnes interroge forcément sur la pertinence de son engagement artistique. »
Bernard-Marie Koltès a été subjugué par Maria Casarès qu’il a eu la chance de voir sur scène. Il lui a écrit et a eu ensuite le courage de se lancer totalement dans le théâtre alors que ce n’est pas un « vrai boulot ».
Sa correspondance met aussi en évidence tous les problèmes d’argent qui existent et qui peuvent miner le quotidien. Il a eu jusqu’à 3 millions de dettes après la réalisation d’un film.
Il a fait une tentative de suicide mais devant des jeunes exploités et détruits par le travail, il avait honte du luxe de son existence dû à son accès à la culture.
Il a voyagé dans différents pays, rejoint le Parti Communiste et s’est engagé dans le combat contre les injustices et la violence du monde à travers ses textes.
« Ecrire est toute ma vie », « Je déteste le théâtre parce que ce n’est pas la vie mais j’y reviens toujours car c’est le seul endroit où l’on dit que ce n’est pas la vie » et Bernard-Marie Koltès y a consacré sa vie.
Le crépuscule
d’après Les chênes qu’on abat… d’André Malraux
Interprètes : John Arnold & Philippe Girard
Adaptation et mise en scène : Lionel Courtot
« Le 11 décembre 1969, André Malraux retrouve le général de Gaulle au crépuscule de sa vie… »
Les deux hommes sont à Colombey-les-Deux-Églises, pour une ultime rencontre avant la mort du Général de Gaulle. Ils reviennent sur les circonstances de son départ du pouvoir après le référendum du 27 avril 1969 dont le sujet était le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat. Il avait mis son statut de président en jeu en cas de réponse négative. Avant d’avoir les résultats, il savait déjà que le non serait majoritaire car Valéry Giscard d’Estaing ne le soutenait pas. Dans le secret le plus total, il a décidé qu’il quitterait le pouvoir dès le lendemain, le lundi 28 avril 1969 à midi.
Les deux hommes échangent sur le rapport au pouvoir, aux institutions, à la vie, à la mort… C’est une réflexion philosophique sur cette vie très particulière qui est celle de l’homme politique. Charles de Gaulle a une idée très haute de la France tout en sachant que parfois le peuple français est injuste en refusant les réformes. Il trouve les Français pantouflards. Il avait beaucoup d’ambition pour la France et cette réponse négative au référendum a été pour lui une rupture du contrat avec le peuple français. Homme entier, il a préféré s’éclipser immédiatement.
André Malraux analyse ce que de Gaulle a réussi à faire lors de l’appel du 18 juin et son rapport au pouvoir tout au long de sa vie. La démocratie, l’Europe, le système économique, de nombreux thèmes politiques sont abordés avec beaucoup de justesse car le texte reste tout à fait d’actualité concernant par exemple les relations des partis politiques avec le peuple.
C’est une pièce très riche de réflexions, de questionnements, d’analyses qui nous sont encore utiles aujourd’hui. Les deux comédiens incarnent leurs personnages avec beaucoup de profondeur et de sensibilité. Philippe Gérard sans chercher à imiter de Gaulle reprend certains de ses gestes, de ses intonations ce qui donnent plus de force et entre en écho avec les souvenirs que nous avons de cette époque. Pour les plus jeunes, c’est une plongée dans un moment essentiel de l’Histoire française. Cela leur permet de découvrir une personnalité très charismatique ce qui n’est pas fréquent dans le monde politique.
Pour la première fois que l’essai Les Chênes qu’on abat est adapté au théâtre, c’est une réussite grâce au jeu des acteurs qui mettent bien en valeur le texte d’André Malraux, les propos des deux hommes et l’admiration du ministre pour le président dont il appréciait la capacité de se projeter dans l’avenir et prévoir ce qu’il adviendrait de l’Europe, des partis politiques, du rôle joué par la France dans le monde… Ces deux hommes ont été encensés ou critiqués. Il est donc passionnant de les entendre s’exprimer.
Brigitte Aubonnet
(Juillet 2019)