Le Théâtre du Petit Montparnasse met actuellement en scène
Riviera avec le personnage de Fréhel, chanteuse légendaire
de l'entre-deux guerres.
Au moment où le rideau se lève, Fréhel, recluse dans une
chambre miteuse, est assise auprès d'une table où trône un
poisson rouge dans un bocal tout rond, Polo. Elle est devenue une petite bonne
femme boulotte prématurément vieillie par les excès. Elle
rêvasse en s'adressant au fantôme de son grand amour perdu, Maurice
Chevalier. De l'obscurité du fond de scène, le voilà qui
survient, en costume clair, canotier de côté.
Il est là sans y être.
Il la salue d'un "Bonsoir" conciliant, prêt à écouter
cette vieille amante d'un temps ancien.
Ils évoquent le passé, le rediscutent. Fréhel lui montre
cette carte postale que jadis il lui envoya de la Riviera. En résonance
"off", on entend clapoter les vagues de la "grande bleue".
Et puis c'est l'affrontement verbal avec les reproches. Car elle ne lui a jamais
pardonné de l'avoir abandonnée pour Mistinguett "je voudrais
qu'elle crève et qu'tu la regardes pourrir et devenir aussi laide que j'suis
devenue !"
Sous ces auspices, commence la pièce.
Myriam Boyer, grande figure du théâtre, excelle.
Instinctive, elle se métabolise en Fréhel, amoureuse fleur bleue,
tant son empathie pour le personnage est grande. Fréhel, venue de la
misère, dont la vie a été dramatique et la carrière
en dents de scie. Fréhel, minée par l'alcool et la cocaïne,
qui se fait croire que l'on pourrait ressusciter l'illusion de la gloire et
des êtres perdus qui la composaient.
Aux côtés de Myriam Boyer, il y a Laure Vallès dans le rôle
de Paulette apprentie chanteuse en quête de gloire, et Clément
Rouault, sobre personnage de Maurice Chevalier.
Ce trio talentueux d'écorchés vifs nous trouble et nous émeut
Sans doute nous renvoie-t-il en miroir à nos propres amours.
La mise en scène de Gérard Gelas restitue à merveille
cette illusion de la gloire et la chute brutale de l'artiste applaudi, délaissé
puis abandonné. De même il souligne la passion amoureuse, tellement
éphémère, aussi vite usée que sa montée zénithale.
Quant à l'auteur de la pièce, Emmanuel Robert-Espalieu,
il a imaginé de nous faire revivre les divagations d'une histoire d'amour
entre deux personnalités légendaires. Les dialogues entre Fréhel
et son fantôme entremêlent un ravissement nostalgique mâtiné
de la gouaille des faubourgs.
L'intérêt de cette comédie dramatique est l'alternance entre
la nostalgie d'un passé mort et le réalisme d'un présent
vivant.
Une pièce sensible et émouvante, d'une grande force.
Un vrai coup de cur.
Patrick Ottaviani
(02/02/13)