Marcel Maréchal a remis en scène Le Cavalier seul. C'est
une pièce qui le tient. Les décades passent. Il la revisite. Avec
l'espoir d'aller encore plus loin dans la quintessence du texte du grand dramaturge
qu'était Jacques Audiberti (1899-1965).
Ainsi, longtemps après le théâtre de Cothurne, à Lyon,
en 1963, le festival d'Avignon en 1973, c'est sur les tréteaux du Théâtre
14 que Le Cavalier seul est à nouveau repris.
En un Languedoc moyenâgeux (sur scène juste quelques sacs de farine
empilés, une charrue ; au fond, une toile peinte de couleurs fauves),
vit Mirtus, un jeune fermier à l'énergie débordante.
Entouré de sa fiancée, de sa mère envahissante, d'un père
inexistant, d'un curé bourru, il a soif de croisade. Mais pour participer,
il faut être chevalier. Alors, avec l'assentiment familial et celui de
l'église, on finit par l'adouber. Il n'a plus qu'à dire au revoir
à sa fiancée qui lui remet l'indispensable épée.
La lame facile, le jupon itou, il galope de pays en pays vers l'Orient. Mû
par une quête mystique (reconquérir le tombeau du Christ), il arrête
son cheval à l'empire de Byzance où il rencontre Zoé, la
reine. Celle-ci infléchit sa pensée au sujet de la Croix. Une
invention soi-disant byzantine.
Il remonte à cheval, direction la Palestine. Le voilà chez les
Turcs où nul ne semble savoir où se trouvent le Saint-Sépulcre
et les restes du Christ.
Il croise un illuminé qui dispense la parole du fils de Dieu et le malheur
sur les hommes. Prophète de mauvais augure, l'homme est arrêté,
fouetté avant d'être empalé.
Les doutes apparaissent chez Mirtus. Le sens de sa quête. De son épopée
solitaire. Les croisés finissent par le rejoindre et lui dessinent une
croix de sang sur la poitrine.
Le Cavalier seul est la pièce des idéaux brisés
et des premiers signes de l'anticléricalisme.
Jacques Audiberti était un homme de théâtre attaché
à l'histoire. Son drame satirique est tout à fait d'actualité.
Il évoque le choc culturel Occident-Orient. Le télescopage de
deux civilisations majeures. Leur incompréhension réciproque.
Il y a dans son écriture une formidable liberté burlesque afin
de nous faire passer le message. Une envie de baroque et de fantastique. Et
Marcel Maréchal ne s'y est pas trompé. Avant Beckett, avant Ionesco,
on est dans les prémisses du théâtre de l'absurde.
Eclate alors le savoir-faire du scénographe Thierry Good, de Jacques
Angéniol aux costumes sous les lumières de Jean-Luc Chanonat.
Il faut voir évoluer ces spadassins orientaux attifés d'armes
surréalistes ou encore ces croisés armés de mitraillettes
de la guerre 39-45, la matraque de "CRS" à la ceinture. Et
si les accoutrements carnavalesques de ces deux civilisations font sourire,
sans doute est-ce pour nous faire partager le pathétique de leurs appétences.
Les comédiens ont le rythme, l'émotion est juste ce qu'il faut.
Un très bon spectacle.
Patrick Ottaviani
(04/06/14)