C’est une bonne idée que d’avoir choisi un plateau juste investi d’une table, de deux chaises et d’un seau d’eau afin de donner priorité à un espace réservé à l’interprétation. Ainsi nous apparaît d’emblée plus direct L’étranger, chef-d’œuvre d’Albert Camus, théâtralement adapté par Benoît Verhaert et Frédéric Topard.
Meursault (interprété par Stéphane Pirard), un jeune pied-noir – nous sommes en banlieue d’Alger dans les années 40 –, s’asperge d’eau en bord de scène. Il vient d’apprendre le décès de sa mère à l’asile de Marengo et entonne ces célébrissimes paroles : « Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. »
Si ce décès l’afflige, il est avant tout préoccupé par la demande de deux jours de congés qu’il doit faire auprès de son patron pour se rendre à l’enterrement de sa mère où il ne pleure pas et où, dès le lendemain, il batifole à la plage en compagnie de la toute belle et enthousiaste Marie (interprétée par Lormelle Merdrignac) une ancienne dactylo avec laquelle il a travaillé deux ans plus tôt. Le soir, ils vont au cinéma voir un film avec Fernandel, puis ils font l’amour.
Lorsque Marie demande à Meursault s’il veut se marier avec elle, il lui répond que « ça lui est égal ». Si elle lui demande s’il l’aime, il répond que « ça ne signifie rien ». Si son patron lui propose d’aller promotionnellement travailler à Paris, il répond que « ça lui est égal ».
Ces réponses agaçantes par leur côté décalé passeraient encore, si, le dimanche d’après, lors d’une altercation avec un Arabe, Meursault ne tuait celui-ci d’un coup de révolver, et, juste après, ne tirait quatre balles inutiles dans son corps inanimé.
Dès lors, face à son meurtre, s’ouvrent les portes de sa conscience, comme va s’ouvrir son procès aux assises où il est condamné à mort.
Le bel intérêt de la mise en scène de Benoît Verhaert tient à cette centration tout au long de la pièce sur la personnalité énigmatique de Meursault. Presque une auscultation approfondie en compagnie des personnages de son entourage (son patron, le juge d’instruction, l’aumônier...) rôles tenus en alternance par Benoît Verhaert.
Car le désir de Meursault, au fond, c’est quoi ? Il ne se vante pas. Il n’est jamais prétentieux. Simplement il est lisse, en attitude indifférente face aux choses communes de la vie, presque insaisissable. Comme si ne s’étaient pas tissées en lui les mille et une mailles intra-humaines où s’échangent les sentiments et les émotions.
Alors, est-il un homme libre ? Ou construit différemment ?
Voilà un peu le fer de lance de l’adaptation théâtrale du célèbre roman d’Albert Camus avec de belles séquences, jouées presque d’un trait par un trio d’excellents comédiens. Entre autres, celle où Meursault a des coups de colère à l’égard du prêtre qui l’appelle « Mon fils ! » et qui veut absolument sauver son âme avant qu’on ne lui coupe la tête. Ce n’est pas qu’il rejette l’idée de Dieu, c’est qu’il ne la comprend pas.
La pièce est rythmée, bien équilibrée dans son mouvement évolutif.
Amateurs de Camus, n’hésitez pas.
Une belle première, très applaudie, au Théâtre 14.
Patrick Ottaviani
(15/01/15)
NB : On peut ajouter que ce spectacle a été joué en Belgique, en milieu scolaire, avec cette belle initiative pédagogique d’un débat après spectacle entre les comédiens et les élèves sur la personnalité de Meursault.