Cet été s’est déroulé une nouvelle fois le Festival des Jeux du Théâtre de Sarlat en Périgord. Le 64e du nom. Il est l’un des plus anciens en France après celui d’Avignon et son directeur Jean-Paul Tribout atteint déjà sa 20e année de Carte Blanche pour nous concocter un programme où se mêlent pièces contemporaines et grands classiques.
La caractéristique du Festival de Sarlat est de se dérouler à ciel ouvert au cœur de la ville, dans cette ville qui a servi de décor à plusieurs productions de films, dans cette cité dont les murs sont imprégnés d’histoire avec la couleur si particulière de ses pierres qui illumine chaque rue, chaque place, chaque édifice. C’est dans ce cadre prestigieux que l’on a planté, du 18 juillet au 3 août 2015, gradins et scènes pour une vingtaine de spectacles.
Entrer dans Sarlat est pour ainsi dire déjà pénétrer dans les coulisses du spectacle, avec à chaque tournant de ruelle la présence de professionnels des jeux de rues : chanteurs, musiciens, prestidigitateurs, clowns qui côtoient les étals encombrés d’œuvres d’artisans. Et au beau milieu de ce charmant désordre, la mise en place de la pièce du festival qui se jouera le soir-même.
Un estivant qui durant la journée a pris le temps de visiter les innombrables lieux d’histoire et de culture des environs – châteaux chargés de mémoire, points de vue sur la Dordogne et sa vallée, grottes où subsiste la trace de cet improbable désir de créer de la beauté qu’ont eu des hommes d’un lointain millénaire –, a la chance le soir venu d’assister, entre les murs de la cité périgourdine, à une pièce de théâtre qui rivalise de modernité et d’originalité pour lui parler et l’interpeler sur le sens de son présent.
Ainsi, entre la mi-juillet et le début du mois d’août, on a pu assister cette année à plus d’une quinzaine de spectacles, on s’est réjoui en découvrant ou redécouvrant des auteurs que Jean-Paul Tribout a pris le soin de choisir avec un esprit d’équilibre entre auteurs anciens et contemporains : Raymond Queneau avec son Zazie dans le Métro, Alfred de Musset avec La confession d’un enfant du siècle, l’incontournable William Shakespeare avec Beaucoup de bruit pour rien, Eugène Ionesco avec La leçon, Graham Greene avec Voyage avec ma tante, etc.
Certaines de ces pièces nous les avons déjà appréciées ailleurs, mais c’est dans le travail des metteurs en scène que nous les découvrons, dans l’originalité de leur vision et de leur compréhension du théâtre.
Votre serviteur n’était de passage à Sarlat que durant une courte période et n’a pu assister à l’ensemble de cette farandole de pièces théâtrales. Il ne pourra donc vous parler que de celles auxquelles il a pu assister.
Les voici :
La vénus à la fourrure de David Ives, mise en scène par Jérémie Lippmann, pièce créée à Broadway et couronnée par trois Tony Awards. Dans cette pièce se superposent les scènes de l’adaptation d’un roman de Sacher-Masoch et les scènes de la rencontre réelle entre une actrice et de son futur metteur en scène.
Il faut rappeler que La vénus à la fourrure fut réalisé pour le cinéma par Roman Polanski en 2013 et qu’il était courageux, après le succès de cette production cinématographique, de reprendre cette pièce au théâtre, mais Jérémie Lippmann s’en sort admirablement et sans complexe. Quant à Marie Gillain (Wanda Jordan), elle est tout simplement époustouflante dans son double rôle, passant d’un jeu d’actrice à l’autre avec la légèreté des virtuoses. Elle allume avec son jeu d’actrice sur la scène un feu qui ne semble pas s’éteindre à la tombée du rideau ou plutôt au fondu au noir, car à Sarlat où le décor est la ville elle-même, aucun rideau ne tombe. Et nous sortons de ce spectacle comme si nous marchions sur les braises que Marie Gillain a laissées derrière elle en quittant les planches de la scène.
Pour résumer la pièce, Thomas Novaceck (Nicolas Briançon) metteur en scène à la carrière chaotique, désespére de trouver le personnage féminin de sa future pièce, il sort d’une épuisante séance de casting qui le laisse complétement écœuré de jamais trouver son actrice idéale, lorsqu’apparaît la jeune Wanda Jordan qui se croit simplement en retard sur le rendez-vous d’audition. À partir de ce moment elle parviendra à brouiller les cartes, à imposer des scènes qu’elle juge nécessaires à la compréhension de la pièce et surtout à inverser les rôles. Dans cette mise en abîme d’une pièce dans la pièce, la volcanique Wanda sortira en maîtresse des lieux et de l’être qu’elle a manipulé jusqu’à le soumettre en le renvoyant à sa véritable nature. Notre Vénus comme la vérité sortira nue de sa fourrure.
Le Serment d’Hippocrate de Louis Calaferte est une création de Patrick Pelloquet. Le sujet de la pièce est très proche de celui du Docteur Knock de Jules Romain ou du Malade imaginaire de Molière. C’est le corps médical qui est mis sur la sellette.
Pour l’anecdote, curieusement à Sarlat l’hôpital de la ville court le risque de voir sa fermeture prochaine. On centralise... Ainsi avant ce Serment d’Hippocrate, Jacques Leclair, le président du Festival, a pris le temps de sensibiliser le public sur cette future fermeture et l’expatriation du corps médical de l’établissement.
Mais revenons à la pièce, cette critique du milieu médical n’est ni l’argent que les médecins se font sur les dos des clients… pardon des patients tel qu’on le comprend dans le Docteur Knock, ni la suffisance et la prétention des médecins devant ces pauvres patients ignorants et crédules à l’extrême tel que le pauvre Argan de Molière, mais cette science qui évolue sans vraiment fondamentalement changer quelque chose à notre mort programmée.
Dans ce Serment d’Hippocrate nous sommes confrontés à deux générations de médecins : le père et le fils qui malgré leur différence de méthode, le plus jeune ne trouvant plus nécessaire de prendre la tension du malade pour établir un diagnostic et l’ancien toujours fidèle à ses instruments et à ses vieilles recettes. Nous pourrions croire que le traitement de l’un sera différent de l’autre, mais point du tout !... il est à quelques variantes près le même. A tel point que dans cette famille de médecins, on reste persuadé qu’il y avait un grand-père médecin, un arrière-grand-père médecin et qu’il y aura un fils médecin et aussi le fils du fils avec des méthodes différentes mais avec la même impuissance à garantir la vie sauve. Calaferte met dans la bouche du médecin père une phrase qui dans la force de son humour ne peut que nous interroger : « Lorsqu’il n’y aura plus que la maladie, sans les malades, les choses iront bien plus facilement et vite. »
Les scènes se déroulent dans l’appartement d’une famille modeste où vit un couple mais également la mère de l’épouse (dont la soudaine syncope provoque le débarquement du corps médical) et le père de l’époux. Une famille où on ne case pas les vieux en maison. Quand on a un père ou une mère on se les garde près de soi. Pendant les visites des deux médecins (père-fils) qui se succéderont, il faut avoir des yeux partout pour observer le jeu des six personnages dans leurs postures stéréotypés. C’est comme si nous étions devant une mosaïque de one-man-shows qui s’emboiteraient les uns dans les autres. L’humour nous est transmis autant par la justesse des répliques de Louis Calaferte que par le jeu en finesse des acteurs, c’est à dire Gérard Darman le papa (mon préféré), Pierre Gondard le docteur Blondeau père, Patrick Pelloquet, Lucien, Christine Peyssens, Madeleine, Yvette Poirier, bonne maman, et Georges Richardeau le docteur Blondeau fils.
Les Cavaliers d’après le roman de Joseph Kessel mis en scène par Éric Bouvron et Anne Bourgeois.
En se dirigeant le long des murs de Sarlat vers les gradins du Jardin des Enfeus où nous attend notre place dans cette scène en plein air et devant le décor du vieux Sarlat, nous sommes déjà appelés, pour ne pas dire happés, par des sons étouffés comme si ceux-ci venaient du centre de la ville, du centre de la scène. Mais nous sommes déjà en fait à l’écoute de la bande sonore de la pièce, nous approchons du spectacle, nous allons y pénétrer et ces sons mélodieux nous suivent jusqu’à nos places, ils nous attendent, comme un bouillonnement de lave avant l’éruption. Puis dans le silence de nos portables éteints (complétement !), jaillit un chant, une prière d’Iman du haut d’un minaret. Cette voix et ces accords mélodieux qui habilleront le spectacle d’un bout à l’autre sont le résultat d’une création de Khalid K. Il est rare au théâtre que la bande sonore qui d’ordinaire n’habille que les moments où les voix des acteurs se taisent ou les intermèdes entre les changements de scène, ait une telle importance et donne une telle vigueur aux scènes qui se déroulent. Je n’ose imaginer aujourd’hui ce spectacle sans la voix de Khalid K. et les trouvailles de ses bruitages.
Les Cavaliers, le roman de Joseph Kessel, se déroule en Afghanistan sur plus de six cents pages. Une épopée, un roman d’aventure, inimaginable à mettre en scène. Pourtant Eric Bouvron et Anne Bourgeois réussissent cet exploit. L’Afghanistan, les fiers cavaliers et les chevaux de légendes, nous les verrons nettement comme si nous étions dans les lignes du roman de Kessel lorsque les mots titillent notre imaginaire.
Oui, ces cavaliers nous les verrons dans leurs fiers costumes. Quant aux étalons de légende, ils seront également sur scène, enfin pas vraiment, mais nous finirons par les voir grâce à l’originalité de la mise en scène et au bruitage ingénieux dont nous avons déjà parlé. Un vulgaire tabouret renversé symbolisera le museau d’un pur-sang. Après la première impression d’incrédulité, nous parviendrons au fur et à mesure des scènes à reconnaître en ce banal tabouret le museau d’un cheval qui s’ébroue, hennit, s’apaise. Nous le verrons trotter, galoper, chuter… Jehol, ce cheval de légende, naîtra devant nos yeux par la magie qu’éveillera dans notre imagination la manipulation de ce simple tabouret renversé, et sur l’écran de cette nuit de Sarlat nous reconnaitrons ce merveilleux coursier, Jehol, et nous aurons pour lui autant d’affection que son maître, le fier Ouroz (Grégori Baquet) au point de frémir lorsque l’espace d’un instant nous comprendrons qu’il risque une mise à mort.
Pour l’histoire il faut lire ou relire les six cents pages du roman de Kessel qui nous parle des contrées rudes de l’Afghanistan, de la fierté des hommes, de l’amour, de la mort et de Jehol le cheval fou… Ce qui nous est offert sur scène est un spectacle dans ce qu’il a de plus pur, un spectacle qui aura atteint son but, le seul que nous attendons vraiment de lui : nous émerveiller. N’est-ce pas là la vocation du théâtre ?
Passionnés de théâtre, amoureux des scènes, si l’an prochain votre chemin de vacances passe par le Périgord, faite en sorte de consacrer quelques jours, voire même une journée pour assister au moins à un des spectacles de ce prochain 65ième Festival des Jeux du Théâtre de Sarlat. L’exigence de son président, Jacques Leclair, et de l’équipe de Jean-Paul Tribout est l’assurance de la qualité de ce qui vous sera donné à voir.
David Nahmias
(10/08/15)