Pour FPO
Qui est Pygmalion ?
Ovide, un peu avant Jésus-Christ, invente ce personnage qui, en guise de passe-temps, sculpte une statue d’ivoire afin de lui donner les traits d’une jeune fille dont il tombe amoureux.
George Bernard Shaw, en 1912, s’empare du personnage et en compose une pièce mythique du théâtre anglo-saxon. Ned Grujic, en ce début d’année, nous offre au Théâtre 14, une comédie pétillante d’humour.
L’action se passe dans les années 50.
Il pleut des cordes. Mrs Pearce, Freddy et Clara Eynsford s’abritent à l’intérieur de l’Astoria, un cinéma de quartier. Freddy part en quête d’un taxi, tandis qu’Eliza Doolittle, une pétulante ouvreuse à l’accent faubourien leur vend bonbons et cigarettes. Côté jardin, le professeur Higgins, calepin à la main, intéressé par les répliques des uns et des autres, prend des notes. Derrière lui son vieux complice, le colonel Pickering.
Eminent spécialiste en phonétique, le professeur Higgins propose à Eliza de la transformer en duchesse. Au fil des leçons, la jeune vendeuse apprend les bonnes manières. S’affirme. Passe le cap de star. Et, en un décor où alternent les projections d’extraits de film en Technicolor des années 50, on distingue Eliza Doolittle et le docteur Higgins en réception mondaine.
Intéressant, ce Pygmalion moderne revivifié par Ned Grujic n’est pas sans rappeler, par certains côtés, L’Eve Future de Villiers de L’Isle-Adam. Higgins, un peu comme un couturier insolite, n’en fait qu’à sa tête. Il métabolise les attitudes d’Eliza, sans oublier de transformer son vocabulaire des rues en un registre de langue apprêté. La petite vendeuse devient bilingue : elle possède à la fois l’élocution fruste et le langage grammatical châtié. Et si elle tombe amoureuse de son créateur, elle n’est, en ce qui le concerne, qu’un sujet d’expérience.
George Bernard Shaw s’adonne avec application à tourner en ridicule le conformisme de nos classes sociales. À déboulonner nos propres mythes en plaisir salutaire. Ned Grujic ne rate pas le coche. Toute sa dramaturgie est fluide, drôle ; un satirique soft. Les comédiens sont parfaits et la précision des scènes successives cocasses. Cela vient du heurt, du télescopage entre le bon conforme et le non conforme.
Bravo à Lorie Pester pour son parcours atypique. Découverte sur Internet, avide de nouvelles expériences, elle foule un plateau de théâtre pour la première fois et endosse le rôle d’Eliza Doolittle avec aisance et drôlerie.
Benjamin Egner est parfait dans son rôle de Pygmalion. Comme Jean-Marie Lecoq (en Doolittle, père d’Eliza) qui, après avoir gratté les caniveaux, devient un gentleman de l’ébouage.
Cette pièce pétillante est tout à fait salutaire en contrepoint des évènements moroses que l’on connaît. Alors, n’hésitez pas à vous offrir quelques pépites de bonheur récréatives.
Patrick Ottaviani
(22/01/16)