À Encres Vagabondes, nous venons de vivre une délicieuse expérience « d’hôte-spectateur » en compagnie d’Anne-Marie Lazarini et de ces (ses) Artistes en appartement(s) à l’Artistic Théâtre.
Le spectacle, auquel vous êtes convié, n’est pas tout à fait ordinaire. Déjà, vous ressortez du théâtre avant d’y entrer à nouveau – spectateurs à la queue-le-leu –, par une porte dérobée. Vous voilà dans l’« underground », si l’on peut dire, de l’Artistic Théâtre, où a été aménagé et mis en décor le séjour d’un appartement avec son sempiternel mobilier : canapé, table basse, fauteuils et chaises. Vous vous installez face à Bruno Andrieux et Cédric Colas. Les deux comédiens vous accueillent et sont chargés de jouer « Pourquoi je suis là ? ».
Au centre du salon-scène, il y a un arbre généalogique, aux branches pailletées de phosphorescences. Y sont suspendues les photos noir et blanc années 50 de tout jeunes enfants : celles des comédiens, de la metteuse en scène et même de l’attachée de presse… Un poste de radio est disposé aux côtés de l’arbre.
C’est sur ces principes de théâtre à domicile (1er Festival mondial en 1989), que la pièce d’Alain Pierremont, Pourquoi je suis là ?, va être interprétée.
L’histoire d’un père et d’un fils dans l’après-guerre 39-45.
Le père.
En un monologue avec de belles attitudes, Bruno Andrieux nous campe un homme taiseux, marié avec Luce. Un petit garçon vient de naître. Le soir pour améliorer le quotidien, le père fait du porte-à-porte pour vendre de l’assurance-vie. Et « les choses » comme dirait Perec, se mettent à prospérer.
Il s’achète une « Chambord, du même nom que le château. » En revanche, il survole sa famille et oublie de parler à son fils. À seize ans, celui-ci le tance de reproches, qu’il encaisse, ne comprend pas.
Le fils.
Magnifiquement interprété par Cédric Colas, il entre à son tour sur le marché du travail. À l’inverse de son père, il se tourne vers la communication. Militant au Parti Communiste, il se voit confier l’animation de la réalité sociale des habitants des barres HLM de Bobigny.
La mère, introvertie, évoquée par les deux hommes, est internée en hôpital psychiatrique.
Père et fils se revoient après la mort de celle-ci, crèvent l’abcès des silences et se parlent pour la première fois.
Côté dramaturgie, les deux comédiens rythment le spectacle avec précision. Ils s’infiltrent auprès des spectateurs, les frôlent, prennent à témoin et provoquent chez eux la troublante sensation d’avoir déjà vécu ce qui leur est raconté.
On ne mesure probablement jamais assez l’importance de la parole, car il est difficile d’aimer celui qui ne dit pas.
La pièce d’Alain Pierremont, aux réalités autobiographiques, évoque nos repères, nos mots et explore la si complexe communication parents-enfants. Représentée dans le cadre d’Artistes en appartement(s) et mise en scène par Anne-Marie Lazarini, elle est complètement d’actualité.
Fin du spectacle. « Hôtes-spectateurs », comédiens et metteuse en scène se retrouvent comme à l’auberge espagnole où le salé-sucré a été apporté avec quelques bouteilles. Le « quatrième mur », celui qui traditionnellement sépare les comédiens des spectateurs, est aboli.
Que dire de plus ? Allez-y ! N’hésitez pas à vivre cette singulière expérience dramaturgique tournée vers le partage, un moment unique où l’on échange. Programmation jusqu’au 30 juin.
Patrick Ottaviani
(16/04/16)