Longtemps déjà que La Troupe du Phénix, à l’image des premiers saltimbanques, sillonnent les routes avec des spectacles où se mêlent l’acrobatie, la musique et le chant. Longtemps aussi, qu’elle cherche à rendre hommage à travers une composition théâtrale à un artiste dont l’œuvre les a séduits. Il y avait eu, il y a quelques années, le succès du P’tit Monde de Georges Brassens et la troupe a eu la bonne idée de remettre le couvert avec Le P’tit Monde de Renaud sur la scène du théâtre du Palais-Royal.
On retrouve l’univers du chanteur culte et les personnages emblématiques de ses chansons : Gérard Lambert et sa mobylette, Manu, la Pépette, la Doudou, la Teigne, Michel et le beauf.
On va les suivre tout d’abord dans un climat de banlieue sauvage des 70’s aux éclairages clairs-obscurs. Dévorés d’illusions, ils forment une bande de chiens fous qui se chamaillent sur la scène transformée en terrain vague, avec panneau à graffitis.
Révoltés contre la société, ils ont besoin de se prouver qu’ils existent dans la fièvre de leurs vingt ans. Alors, il y a les bagarres, la drague. Ils agressent le premier quidam venu. Lui tirent sa mobylette. Lui piquent son futal.
L’un d’entre eux se pend ! Et c’est l’irruption de la mort et de la désillusion. Les voilà abattus. Ils n’y avaient pas pensé.
Le spectacle musical avance à travers le temps avec les tonalités de non avenir d’un certain James Dean.
Au passage des 80’s, Manu fait un casse. Se fait piquer. En prend pour dix ans. À six mois d’avoir purgé sa peine, il s’évade, enchaîné à un « Polonais » qui ne sait dire que « Tatatain ! » Il se réfugie dans l’HLM de Lucien qui désormais vit avec Pépette – « en cloque ! » –, et compose des chansons à succès. Les années ont passé. Le terrain vague et les bals du samedi soir ne sont plus qu’un souvenir.
Au seuil du XXIème siècle, le show-biz propose à Lucien un contrat d’un million d’euros mais il ne veut pas être récupéré par le système pour devenir à son tour, un bourgeois, si honnis à l’époque.
Poignante est l’épopée en trois épisodes de cette génération, avec des arrangements musicaux inventifs. Banjo, percussions et autre guitare lustrent avec délice Mistral Gagnant et sa mélodie entêtante (chanson préférée des Français) ; symbole d’un moment d’enfance déjà si éloigné. C’est un peu cela aussi le fil conducteur de ce périple, la nostalgie du temps qui passe, ce temps à la Léo ferré... temps perdu qui s’égrène comme dans une clepsydre. Et comment faire pour l’habiter ce temps de l’existence ?
Tout au long du spectacle, Elise Roche réalise une mise en scène qui tient en des séquences cut, des scènes drôles et d’impertinence où les comédiens, en une belle entente avec des mouvements tristes, révoltés et exaltés, réalisent le pastiche réussi d’un P’tit monde de Renaud toujours d’actualité.
Ceux qui aiment l’univers du « minot » s’y retrouveront, parce que c’est une belle comédie musicale qui suscite, par ailleurs, l’interrogation intimiste.
Patrick Ottaviani
(01/03/17)