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Brigitte ATHÉA

Sentiments provisoires



Différents tableaux mettant en scène trois femmes, trois hommes et un jeune garçon s’entrecroisent.

Une femme échange avec un ami scotché à son écran pour lui annoncer qu’elle le quitte.

Un jeune garçon avec son sac de sport à l’épaule parle de son copain dont le père vient de partir de chez lui et de son propre père anéanti devant son écran de télévision car il est écrasé de dettes et que sa femme l’a quitté : « Je ne pouvais plus payer mes dettes. J’étais asphyxié ! Mais c’est elle qui ne pouvait plus respirer ! J’aurais dû la retenir, lui dire que je l’aimais. Peut-être que je l’aimais. »

Un couple se dispute à propos de l’associé de l’homme car il insupporte la femme au plus haut point :
« L'HOMME – Tu ne l'as jamais apprécié.
En douze ans, il n'y a pas une soirée qui se soit bien passée.
La dernière fois, souviens-toi, tu l'as traité de pauvre Gaulois licencieux !
Et il ne t'en a pas tenu rigueur pour autant !
LA FEMME – Brave type !
L'HOMME – N'oublie pas que c'est aussi mon associé ! »
LA FEMME Je n'oublie pas ! »

Une femme discute avec son ami d’enfance. Ils ne sont pas toujours d’accord sur la conception de la vie :
« La femmeTu ne penses qu'à toi ! Je vais te dire ce que je crois depuis longtemps et que je ne t'ai jamais dit parce que justement tu étais mon ami, mon ami d'enfance !
Tu es incapable d'amour, tu ne peux pas aimer et c'est là toute ta douleur.
Ton incapacité à partager quoi que ce soit depuis toujours et qui te fait sombrer un peu plus chaque jour dans tes abîmes insomniaques et mortifères. »

Les personnages se croisent d’une scène à l’autre. Chaque passage est très bref. On passe d’un récit à un autre et les points de vue de chacun sur les situations parfois vécues ensemble alternent pour tisser les vies et les ressentis.

Le temps passe dans les relations au sein du couple, entre les parents et les enfants et ce n’est pas toujours facile. Les séparations, les départs, l’absence, les retrouvailles… évoquent la fragilité des sentiments, le provisoire qui existe pour  les êtres même si le passé persévère en chacun de nous : « – Tu vois bien que l’on n’échappe pas à son destin ! Tu as peur de te séparer parce que tes parents t’ont abandonné et, moi, j’ai peur de me marier parce qu’ils ont divorcé. »

L’écriture de Brigitte Athéa est percutante pour traiter de sujets actuels. Le rythme nous entraine dans les méandres des personnages qui se cherchent et tentent de trouver leur voie. De très beaux textes à mettre en scène pour déployer toute leur richesse.  

Brigitte Aubonnet 
(13/05/16)    

 

Quelques questions à Brigitte Athéa

1) L’écriture théâtrale est votre mode d’expression privilégié puisque vous avez déjà écrit une dizaine de pièces. La structure du texte joue un rôle essentiel dans Sentiments provisoires puisque les scènes très courtes s’alternent dans un fonctionnement cyclique. Comment se structurent vos écrits pour obtenir ce résultat où peu à peu nous retrouvons chacun des personnages qui se dévoile ainsi progressivement ?
Le théâtre est mon mode d´expression. Dans ma dernière pièce Sentiments provisoires, la structure s´est imposée en même temps que le thème, comme lui faisant écho. Les scènes forment des blocs compacts qui, tout comme les personnages, s´entrecroisent, provoquant une sorte de vertige, et c´est ce vertige fragmenté qui m'a intéressée, en écho au thème de la précarité.

2) Comment s’impose une structure d’écriture puisque parfois vous avez écrit des monologues ?
La structure d´une pièce de théâtre est absolument indissociable du fond. Le théâtre est une construction mentale et intellectuelle qui a ses propres lois et qui se construit comme une architecture à part entière. Le choix de la forme, dialogue ou monologue, est un choix essentiel.

3) Le thème de Sentiments provisoires est très actuel. Quel rôle joue la création artistique face à la précarité du monde ?
Le thème de Sentiments provisoires est la précarité : précarité de la vie, précarité des sentiments, précarité du travail, précarité de l´argent. Ce sentiment de précarité qui n´a jamais été aussi marqué qu´aujourd'hui s´invite dans tout le paysage mental et social mais aussi dans toutes les relations entre les individus. Comme si le monde en s´accélérant se rétrécissait, perdant son équilibre.
Pour moi, l´auteur de théâtre tout comme l´auteur de roman ou de nouvelles, doit être à  l'écoute du monde dans lequel il vit, réceptacle sensible, et prendre le pouls de son actualité.

4) Les relations au sein du couple, entre parents et enfants sont souvent difficiles dans vos écrits. La famille est-elle un lieu compliqué et source de conflits ?
La famille est la structure nucléaire de notre société et c´est en cela qu´elle m´intéresse, dans ce qu´elle représente, en effet de miroir. Elle est le lieu idéal pour appréhender les passions, les souffrances, les conflits mais aussi les névroses.
La représentation du couple ou de l´enfant dans mon théâtre renvoie plus à la fragilité et aux failles personnelles.

5) Quel rôle jouent les séparations, l’absence dans vos écrits ?
La séparation, l´absence sont à la fois la douleur et la richesse qui font de toute vie un questionnement. Endroit de la souffrance mais aussi de la reconstruction, du désespoir et de l´utopie, c´est aussi exactement l´endroit privilégié de l´écriture.

Propos recueillis par Brigitte Aubonnet (mai 2016)



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Le bruit des autres
88 pages - 10 €















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