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Photo © Christophe Raynaud de Lage


La tête des autres

de
Marcel AYMÉ





En cette année 2013 où les Français s'inquiètent beaucoup sur les capacités de réaction de leur gouvernement, sur celles de leurs élus et sur la fragilité de notre économie, revient sur une prestigieuse scène parisienne la détonante comédie titrée La tête des autres que Marcel Aymé avait tirée à bout portant sur les liens plus que douteux entretenus au début des années cinquante entre gens de pouvoir, gens de justice et gens d'affaires. Ce hasard de programmation tombe bien pour rappeler à nos contemporains que notre démocratie, qui ne veut pas sombrer dans un populisme râleur et sans perspective, ne doit pas se départir de la vigilance attentive des citoyens. De plus, cette pièce est un bonheur de scène dont Lilo Baur signe l'heureuse reprise incluant des gags soigneusement codés.

D'entrée de jeu, Marcel Aymé, précurseur bien inspiré, y condamne d'abord la peine de mort dont Robert Badinter fit ensuite et très heureusement son cheval de bataille. Ensuite, il y dénonce une connivence de classe sociale qui ouvre la porte aux dérapages et enfin il nous démontre avec brio combien la condamnation d'un accusé peut dépendre de deux facteurs indépendants des faits : d'abord un système tordu où la justice n'est plus indépendante du pouvoir et ensuite le fait qu'une tête peut tomber ou non suivant le talent des intervenants. Vaste programme au cours duquel des femmes sous la domination de maris très macho vont réagir

Nous ne sommes évidemment plus dans ce difficile après-guerre tumultueux où Marcel Aymé avait beau jeu de frapper fort car la peine de mort qui à l'époque était acceptée par une majorité de citoyens ne posait pas encore de problème aux consciences républicaines.
Cependant sa pièce rejoint toujours l'universel dans la mesure où elle touche en pleine cible la corruption, la lâcheté et les comportements égoïstes qui perdurent. Le public d'aujourd'hui ne s'y trompe guère parce qu'il il est beaucoup mieux informé que jadis et les langues de bois – y compris les plus sophistiquées – lui masquent beaucoup moins longtemps les impostures.

Reste que malgré la nouvelle donne du XXIe siècle où l'on ne coupe plus la tête des assassins, l'histoire d'un Procureur de la République congratulé par ses pairs et sa famille pour avoir obtenu une condamnation à mort nous hérisse toujours le poil.

Ce point de départ qui prélude une situation impossible pour deux magistrats veules et ambitieux va vous faire vivre une dramaturgie dont la truculence n'a rien perdu du temps qui passe. Les histoires d'amour qui servent de trame à une découverte de la vérité sont celles de conniventes conventions pour une classe sociale dominante et c'est bonheur de voir progressivement révéler le dessous des cartes jusqu'à un dernier acte jubilatoire où un homme sans état d'âme couronne cette histoire de son cynisme, époustouflante caricature d'un affairiste historique par Serge Bagdassarian.

Les dialogues originaux de Marcel Aymé demeurent brillants et les comédiens de la Comédie Française y sont fort convaincants. Grâce à eux, vous allez vivre un grand moment de théâtre jusqu'au 17 avril ou ultérieurement car la salle du Vieux Colombier qui est comble tous les soirs connaît évidemment la nécessité d'une reprise dont la date n'est pas encore fixée.

Claude Chanaud 
(06/04/13)    



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Montreurs d'ours





Théâtre du
Vieux Colombier

21, rue du Vieux Colombier
75006 Paris


Mise en scène
Lilo Baur

Avec
Véronique Vella
Alain Lenglet
Florence Viala
Serge Bagdassarian
Nicolas Lormeau
Clément Hervieu-Léger
Félicien Juttner
Laurent Lafitte
Laure-Lucile Simon
Mich Ochowiak

Scénographie
Oria Puppo

Costumes
Agnès Falque

Lumières
Gwendal Malard

Création sonore
Mich Ochowiak

Maquillages et coiffures
Catherine Bloquère

Assistante
mise en scène
Katia Flouest



Bernard Grasset, 1952
et Livre de Poche