Photo © LOT


Hughie

de
Eugene O'Neil

Le grand bluff

De la présentation optimale des choses jusqu'aux mensonges opportunistes ou au bluff systématique, le discours d'un individu est rarement d'une objectivité totale. Surtout s'il est en crise. Il existe sans doute un art de dire très joliment des choses ordinaires, c'est ce que Marcel Pagnol appelait "la vérité du dimanche". Et il y a surtout l'image que l'on veut projeter de soi dont le théâtre de Pirandello nous a longuement disséqué la démarche sophistiquée.

Quand un individu est au plus mal dans sa peau, on peut aussi penser que son refuge ultime, plus facile à aborder que le silence de la solitude ou le suicide, est de se réfugier dans le verbe lequel permet de faire encore un peu de figuration parmi les autres hommes Pour explorer ce cas limite, il faut aller voir Hughie d'Eugene O'Neill au Théâtre du Lucernaire, dramaturgie exemplaire d'une affabulation désespérée.

Le bluffeur de la pièce c'est Erié Smith un paumé que Laurent Terzieff interprète d'une manière éblouissante. On pourrait dire de ce personnage qu'il est un redoutable marchand d'illusions ou un baratineur professionnel ; mais c'est surtout un homme camouflant systématiquement l'échec de sa vie et sa réelle détresse sous des fantasmes valorisants. Et il exploite sa capacité à broder et à mentir pour sauver les apparences, manière de continuer à exister aux yeux de Hughie le dernier homme lui portant attention.

Le public comprend parfaitement qu'au-delà de ce destin dramatique se dessine un comportement propre à beaucoup d'individus essayant de projeter autour d'eux une image infiniment plus valorisante que la réalité. Mais sur la scène du Lucernaire, il découvre cette sorte de comportement lié à un désespoir total. Il fallait donc un comédien hors du commun pour faire passer la rampe à autant de désespérance avouée.

Par la magie du discours d'Eugene O'Neill le fantasme devient non seulement l'antidépresseur permettant à Erié de supporter sa vie mais ce dernier va susciter également l'auditoire nécessaire à sa survie. Performance que ce grand bluffeur réalise avec le nouveau veilleur de nuit de son hôtel sordide.

Claude Aufaure dans ce dernier rôle est un excellent partenaire. En effet, avec ses mimiques appropriées, il apporte au texte de la pièce une respiration nécessaire. Et sa prestation relève de ces didascalies dont Jean Vilar disait avec une humilité insuffisamment partagée par certains contemporains : ces indications scéniques sont nécessaires car elles empêchent le metteur en scène d'arriver à certains débordements !

Le résultat est une pièce bouleversante. Voilà pourquoi j'encourage l'amateur de bon théâtre à se rendre au Lucernaire en ce printemps 2008.

Claude Chanaud 
(26/05/08)    



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Montreurs d'ours





Théâtre du
Lucernaire


53, rue N.-D. des Champs
75006 PARIS

Location :
01 45 44 57 34




Mise en scène
Laurent Terzieff


Avec
Laurent Terzieff
&
Claude Aufaure






Eugene O'Neill
(1888-1953)
dramaturge américain,
a reçu le prix Pulitzer en 1920 et le prix Nobel de littérature en 1936.

Le texte français de cette pièce est de Jacqueline Autrusseau et Maurice Goldring.