Nous vivons deux nuits d'été à deux époques différentes.
La première dans l'angoisse des temps de guerre. Christian Viguié
situe l'action en 1943. La deuxième nuit, vingt ans plus tard, est en
temps de paix mais pas pour tout le monde.
En 1943, Louis, Madeleine sa femme, et Esther sa maîtresse, participaient à
une réunion lorsqu'ils ont été surpris par les Allemands.
Plusieurs de leurs camarades ont été tués. Louis et Esther
se retrouvent seuls. L'angoisse de la guerre et la proximité de la mort
les hantent.
Louis s'inquiète pour sa femme. Esther a vu Madeleine se sauver. Elle
voudrait parler de leur amour dans l'urgence des risques qu'ils courent :
Esther Les gens n'entrent pas dans l'amour, ils entrent dans
un grand silence. Même un communiste comme toi entretient cette propriété
privée. La morale remplace les miradors. Lorsque l'on dit que l'on s'aime,
nos phrases ont la férocité des chiens. J'ai toujours l'impression
que l'on a inventé les grands sentiments afin d'empêcher les hommes
d'être libres. Les prisons les plus infranchissables sont celles que l'on
construit pour soi-même. On ne possède jamais un être. On
le rencontre ou pas.
Lui ne le peut pas dans la culpabilité des camarades disparus et dans
l'incertitude concernant Madeleine. Cette dernière arrive à les
rejoindre.
Dans les moments extrêmes, les échanges entre les êtres s'établissent.
La peur, le sentiment de survivre orientent leur discussion à trois.
Vingt ans plus tard, en 1963, Esther et Madeleine ont rendez-vous avec le bourreau
qui a tué Louis. Une fois que l'horreur est passée, il a quitté
son uniforme, il s'imaginait pouvoir oublier. Mais quelle victime peut oublier
?
La confrontation, la mémoire, la haine, la peur, tout cela se mêle
pour exprimer les questions et les positionnements face au devoir de mémoire.
Y a-t-il un pardon possible ? Est-ce souhaitable :
Madeleine Sa mort ne colmatera pas le plus petit trou que j'ai
dans la tête. J'ai voulu voir quel visage avait l'assassin de Louis. Il
ressemble à tout le monde. Il n'a rien d'extraordinaire. Il boit, il
mange, il sourit. La seule différence, peut-être, est que dans
tous ses mots se cache le néant. Les hommes comme lui, ne peuvent pas
renoncer à leur bassesse. Du vide, ils en ont fait une religion. L'irrationnel,
cela sert à expliquer ce que l'on n'est pas. Et cet homme n'est rien.
Une fois qu'il n'a plus de victimes entre ses mains, l'irrationnel doit perdre
de sa consistance. Il fouille dans les tripes des autres pour engloutir sa propre
animalité. Mais malgré cela, je ne sais pas à quoi nous
servirait sa peur ou sa mort ?
Cette pièce de théâtre évoque la problématique
des bourreaux qui retrouvent une vie tranquille et banale.
Elle rappelle les fondamentaux de toute vie que personne ne devrait jamais oublier.
C'est un moment intense où l'écriture nous happe pour nous entraîner
sur les chemins de la réflexion.
Brigitte Aubonnet
(23/02/12)