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Sylvie HUGUET, L’éclat des rails | Retour à la liste des textes inédits Télécharger le texte en pdf |
Il coule sans surprise au fond d’un rêve familier qu’il poursuit d’une nuit à l’autre, un rêve feuillu comme un arbre primordial, vivant comme la forêt qui s’y enracine et dont il parcourt les layons étroits comme une bête trace son chemin entre buissons et fougères. Il cueille des baies juteuses et sucrées, croise des sangliers qui trouent les fourrés comme des boulets noirs et des chevreuils dont les bonds survolent les broussailles. Il parvient ainsi à une clairière où l’attendent les deux gardiens du songe, un grand cerf branchu aux yeux noyés de lumière et un loup géant au pelage d’un blanc pur. Au-delà, s’étire une large allée droite entre des chênes élancés comme des colonnes, dont les troncs se ramifient et s’épanouissent sous le bruissement limpide de leur feuillage d’or luisant dans la pénombre. Les sentinelles du songe en interdisent l’accès, et Renaud n’a jamais pénétré dans ce territoire défendu qui l’attire autant qu’il lui fait peur. Mais aujourd’hui, le loup et le cerf se sont effacés pour lui laisser passage. Ton temps est venu, disent-ils, tu peux aller trouver ce qui t’attend là-bas. Les parents se sont tus et endormis à leur tour. La locomotive file dans la nuit sur les rails lisses, tirant son train de wagons avec une rectitude irrésistible qui creuse son chemin dans les ténèbres. Sous le bruissement doré des feuillages, Renaud suit le fil de la longue allée qui le conduit vers le cœur inconnu de son rêve. Il ne marche pas, il glisse à quelques centimètres du sol comme s’il avait des ailes aux chevilles, et plus il progresse, plus son cœur s’allège. Toute crainte dissipée dans la lumière argentée du songe, il n’est plus qu’attente de la merveille à venir. Devant lui, assez loin, il distingue un miroitement pareil à celui d’une lame caressée par la lune. Il approche, et la vision se précise : deux rails coupent l’allée à angle droit, une voie ferrée qui, en pleine forêt, s’enfonce de part et d’autre sous le tunnel des frondaisons qu’agitent des frémissements d’ailes. Où conduit ce chemin de métal dont l’éclat soyeux et cruel le fascine comme celui d’une arme ? Vers quel ailleurs sans parents, sans larmes et sans cris ? Un grand souffle de vent passe sur les feuillages comme un appel impérieux, puissant comme un grondement d’orage. La beauté polie de l’acier qui fuit sous son regard exerce sur lui une attraction si forte qu’il s’agenouille et se couche au sol pour coller l’oreille sur un rail. Il perçoit une vibration lointaine, comme un bourdonnement de guêpes dans un verger autour de fruits mûris au soleil. L’express s’est arrêté brusquement, tirant les voyageurs du sommeil. On grommelle, on s’interroge, on entend des pas précipités, des éclats de voix en tête de train. Le père, maussade, se lève et va aux nouvelles. © Encres Vagabondes & Sylvie Huguet |