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LUNATIK


De l’amour, des chiens, et autres phobies


Effectivement les chiens de toutes races, acteurs directs dans certaines de ces courtes histoires, compagnons fidèles ou croisés au hasard d’une promenade, sont ici très présents. Effectivement, ces canidés, Lunatik, qui dédie dans les dernières pages son livre à tous les poilus à grosse truffe qui ont traversé ou partagé sa vie (soit une vingtaine), les connaît bien. Dans douze kilos d’amour la chienne Podencos (race des Canaries peu connue) est même la narratrice d’une touchante et amusante romance sentimentale à quatre surgissant pour notre plus grande surprise au milieu de ce recueil globalement plus sombre et mordant que tendre ou rose. Quelques félins, notamment dans  Des pissenlits pour Moebius où un chat à trois pattes joue un rôle essentiel dans le récit au côté d’un garçon neuro-atypique qui essaye de maîtriser le monde qui l’entoure en comptant, une lumineuse Nina qui lui a offert Moebius et sait si bien calmer ses angoisses et Gamin, ce chien qui lui a bouffé un doigt à ses treize ans, et enfin un requin qui se laisse caresser dans L’abri des ombres, prennent ici place à leurs côtés.   

Quant à l’amour c’est dans toute ses phases, espéré, fantasmé ou naissant, contrarié ou épanoui, usé ou enraciné, sous toutes ses facettes et dans sa diversité (passionnel, érotique, parental, violent, convenu, possessif, dominateur) que l’auteur ici l‘évoque. Les histoires d’amours finissent mal en général comme le chantait Les Rita Mitsouko et on s’y blesse ou s’y déchire plus souvent qu’on n’y trouve ce que l’on y cherchait.     

Si le recueil s’ouvre sur Courir avec la meute oùune femme sous chimio après une ablation du sein, à travers la course à pied et une rencontre amoureuse, parvient à se réapproprier son corps et sa vie, si Des pissenlits pour Moebius et Le sourire d’Alice (en référence bien sûr à celle de Lewis Carroll mais revisitée par Boris Vian) avec la naissance quasi magique d’Alice en fin dégagent une note positive voire optimiste, chez Lunatik le bonheur n‘est pas souvent au rendez-vous. Son registre relève majoritairement d’une vision torturée et grinçante de l’existence et de la société. Alors, fuyant le misérabilisme ou la critique ouverte, Lunatik fait déraper ses histoires vers un monde parallèle, étrange, décalé, à la limite du fantastique. Bienvenue sur nos autoroutes, un road trip halluciné sous le signe du sang, L’abri des ombres, ses tragiques intrusions nocturnes dévastatrices et ses requins, Les monstres d’acier ou les dangers de la conduite, Le sourire d’Alice s’inscrivent dans cette logique. Mais ne vous y trompez pas ce fantastique-là n’est pas fait pour faire rêver les enfants, il est souvent brutal, non exempt de violence, de folie, et laisse quelques cadavres en bord de route.

Les nouvelles Tu grossiras, Inch'Allah ! avec soncouple de guignols pareillement amoureux des chiens parti se renflouer en refourguant des voitures en fin de vie et des hormones utilisées pour engraisser les génisses dans une contrée d’Afrique où on engraisse les petites filles car la beauté des femmes est liée à l'embonpoint, tout comme le ludique Des pissenlits pour Moebius ou Texas Flower qui  illustre non sans une certaine cruauté l’isolement et la précarité des petits éleveurs, collent quant à elles plus à une réalité tangible, épicée pour la première d’une pincée de grotesque, pour la  deuxième et la troisième d’une vraie tendresse. Les deux premières possèdent également un aspect très cinématographique.   
Cap'Terreur la dernière nouvelle du recueil écrite par une auteure invitée (Marion Mandeville) s’inscrit assez naturellement dans l’atmosphère créée par Lunatik et joue pareillement avec l’angoisse.

Pour faire passer la maladie, la solitude, le désamour, l’ennui et la folie qui guette, Lunatik utilise aussiglobalement et de façon très habile la provocation, un humour noir et féroce, un grain de cynisme et, à l’occasion un goût certain pour désamorcer l’angoisse par un recours aux effets comiques et un basculement dans le loufoque ou l’absurde.
Mais ce qui fait toute la force de ce recueil c’est, outre son atmosphère singulière et son originalité, la profondeur et l’humanité dont en peu de mots et à travers des situations ordinaires ou insolites Lunatik nourrit ses personnages égarés ou solitaires, animés par une violence intérieure, un sentiment d'injustice et un insondable besoin d'amour et leur apporte une humanité qui nous les rend proche.

De Lunatik, on ne trouve ni photo ni interview sur le Net mais sa volonté dans De l’amour, des chiens et autres phobies de « rendre à la laideur quelques couleurs », ne nous en dit-elle pas beaucoup sur ses colères rentrées, son dégoût du monde et son empathie avec ses frères humains ? Et si la vie réelle n’est jamais à la hauteur de nos désirs, nos espoirs ou nos rêves ne vaut-il pas mieux l’affronter et en rire que de fermer les yeux ou d’en pleurer ?
Un recueil aussi glaçant, ambigu et fascinant que le précédent, un travail d’écriture de plus en plus maîtrisé et un univers et une voix à nulle autre pareille. Dans mon jeu des sept familles je le caserais volontiers dans la famille Coup de poing auprès de Thomas Gunzig et Olivier Mau. Lunatik est un grand nouvelliste et on en redemande. 

Dominique Baillon-Lalande 
(29/02/24)    



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148 pages - 15 €


















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