Little boy (La passion) est une pièce à lire pour savourer chaque mot, chaque réplique, chaque image. Du vrai théâtre, avec une histoire, des personnages de chair nettement individualisés, jamais caricaturaux. Du « théâtre-récit », oui, mais bien plus encore.

L’imaginaire habite le texte. Le passage du réel, ou du vraisemblable, à l’irrationnel est permanent. Sans fracture, sans fausse note. On adhère complètement, sans se poser de question. Tout semble possible. George Kane a bien vu cette jeune japonaise, Ginko, du haut de son avion, juste avant le largage de la bombe atomique au-dessus d’Hiroshima. Oui, une passion hors du commun est née de leur échange de regards. Oui, ils se sont parlés. La vie de George Kane en est irrémédiablement transformée. Il remet en cause toutes les valeurs qui étaient les siennes.

De retour aux États-Unis, il est incapable de reprendre le cours de sa vie d’avant. Il refuse d’être accueilli en héros. Il refuse d’être appelé autrement que Little boy, ce nom que Ginko lui a donné à l’instant crucial de leur brève rencontre, tellement improbable mais si réelle. Son comportement devient incompréhensible pour les autres. Sa femme, Fanny, souffre de son éloignement, de son indifférence. Il étonne, et parfois effraie, ceux qui le voient dans des situations qui leur paraissent incongrues ; ce décalage donne souvent lieu à des scènes comiques, bienvenues parce qu’elles rompent la tension suscitée par les témoignages des personnages qui se succèdent. Incroyable évocation du destin de George Kane.

L’équilibre est parfaitement maîtrisé entre l’expression, souvent poétique, d’un imaginaire fort caractéristique de l’ensemble de l’œuvre de Jean-Pierre Cannet, et l’évocation d’une réalité historique tragique qui nous hante tous. Un texte superbe, émouvant, profondément humain.

Prisca 
(12/11/05)