Dans
Le ventre de Paris,
gourmandise
et godiveaux






Le roman du maigre et des gras. Évadé du bagne de Cayenne où il a été déporté après le coup d'Etat de Napoléon III, le 2 décembre 1851, Florent revient à Paris en 1858. Son demi-frère est charcutier aux Halles. La charcuterie est le domaine des « gras ». Florent devient inspecteur au pavillon de la marée. Mais, animé par un idéal de justice, il milite dans une société secrète et, dénoncé par sa belle-sœur, retourne au bagne.
Dans le chapitre 4, deux enfants abandonnés, Cadine et Marjolin, nous emmènent sur leurs pas pour une visite guidée...

« Rue Saint-Denis, ils entraient dans la gourmandise ; ils souriaient aux pommes tapées, au bois de réglisse, aux pruneaux, au sucre candi des épiciers et des droguistes. Leurs flâneries aboutissaient chaque fois à des idées de bonnes choses, à des envies de manger les étalages des yeux. Le quartier était pour eux une grande table toujours servie, un dessert éternel, dans lequel ils auraient bien voulu allonger les doigts. »

« Une autre boutique, en face du square des Innocents, lui donnait des curiosités gourmandes, toute une ardeur de désirs inassouvis. C'était une spécialité de godiveaux. Elle s'arrêtait dans la contemplation des godiveaux ordinaires, des godiveaux de brochet, des godiveaux de foies gras truffés ; et elle restait là, rêvant, se disant qu'il faudrait bien qu'elle finît par en manger un jour. » (Les godiveaux sont des hachis de viande façonnés en boulettes oblongues pochées à l'eau bouillante salée.)

« Le quartier, ces files de boutiques ouvertes, pleines de fruits, de gâteaux, de conserves, ne fut plus un paradis fermé, devant lequel rôdait leur faim de gourmands, avec des envies sourdes. Ils allongeaient la main en passant le long des étalages, chipant un pruneau, une poignée de cerises, un bout de morue. »

Claude Lantier, le peintre qui sera le personnage principal de L'œuvre , devient l'ami de Cadine et Marjolin. Il rêve de les peindre dans un tableau colossal et leur raconte la nature morte qu'il composa une veille de Noël dans une charcuterie.

« Alors je fis une véritable œuvre d'art. Je pris les plats, les assiettes, les terrines, les bocaux ; je posai les tons, je dressai une nature morte étonnante, où éclataient des pétards de couleur, soutenus par des gammes savantes. Les langues rouges s'allongeaient avec des gourmandises de flamme, et les boudins noirs, dans le chant clair des saucisses, mettaient les ténèbres d'une indigestion formidable. J'avais peint, n'est-ce pas ? la gloutonnerie du réveillon, l'heure de minuit donnée à la mangeaille, la goinfrerie des estomacs vidés par les cantiques. En haut, une grande dinde montrait sa poitrine blanche, marbrée, sous la peau, des taches noires des truffes. C'était barbare et superbe, quelque chose comme un ventre aperçu dans une gloire… »



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Emile Zola
(1840-1902)
Le ventre de Paris
1873
Troisième volume
des Rougon-Macquart